Mai 2003
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Je m'aime


Jeudi 1 mai


«Je m'aime quand je t'aime». Phrase un peu étonnante, qu'on imaginerait plus facilement inversée: «Je t'aime quand tu m'aimes». C'est pourtant un des concepts souvent surprenants que ma complice à fait siens.

On peut en tirer des variantes plus générales. «Je m'aime dans les rapports que j'entretiens avec autrui». Ou «Je m'aime dans la façon que j'ai de regarder autrui». C'est bien plus intelligent que « je m'aime a travers le regard d'autrui». Ou pire encore «J'existe par le regard d'autrui». Et moi, bien sûr, je pratique ce pire-là...

Je suis en train d'en prendre conscience... non sans quelques difficultés. Cette dépendance du regard d'autrui est un piège. Une prison dorée. Tant qu'il est positif, tout va bien, je me sens valorisé, apprécié, aimé. Que ce soit par mes proches ou par des inconnus, le degré est différent mais le principe identique. Mais qu'il devienne négatif (et c'est inévitable, parce qu'on ne peut plaire ni en permanence, ni à tout le monde), et alors les barreaux de la prison se révèlent. Et le détenteur de la clé est celui à qui on l'a donnée... Celui à qui on a donné ce pouvoir du regard. C'est absurde.

J'ai longtemps dit que cette recherche du regard favorable venait de mon adolescence, avec un père qui ne l'avait pas eu envers moi. Puis, quelques années plus tard, de cette fille dont j'avais été éperdument amoureux... sans que ça ne soit partagé dans cette dimension là. Je sais que ces deux personnes fondatrices ont joué un rôle déterminant. Bon... maintenant il serait peut-être temps que je prenne les choses en main. Que je me donne les moyens de sortir de cet enfer potentiel qui peut me tomber dessus n'importe quand. 

Si longtemps j'ai su préserver ma vie relationnelle... en me privant "d'exister" (renfermé et solitaire) tout en investissant tout sur une seule personne (Charlotte), force est de constater que la libération de ma parole (mes mots...) grâce à l'écriture publique modifie cet "équilibre" (si un déséquilibre peut être considéré comme tel...). Depuis que je pratique cette forme d'expression, je suis passé par différents stades au cours desquels j'ai cherché à exister dans ces regards inconnus. D'abord les chats, avec des expériences variables, mais qui se sont parfois terminées dans la douleur. Ensuite les forums, sur lesquels je me suis fait sérieusement malmener avant de comprendre que ça ne me convenait pas du tout. Parce que j'étais beaucoup plus sensible à des regards négatifs minoritaires qu'à une majorité de regards positifs et encourageants. Ce journal aura longtemps été mon hâvre de paix, avec des regards portés sur moi souvent valorisants, et parmi lesquels j'ai pu trouver des attaches fortes. Pour le moment, c'est la seule expérience globalement positive (excepté un passage difficile l'automne dernier) de cette dépendance du regard d'autrui. Mais il faut dire aussi que je m'exprime "chez moi", librement, et que la critique est plutôt rare de la part des lecteurs de diaristes. Environnement surprotégé et favorable, en quelque sorte.

Ce sont ces diverses formules qui m'ont fait prendre conscience, en accéléré (et vu mon âge, il était temps...) de cette dépendance du regard d'autrui. Je ne crois pas (faudrait que je relise mon journal papier...) qu'auparavant j'en aie eu connaissance.

Souvent j'ai clamé que "j'existais" désormais, grâce à cette possibilité d'expression par l'écrit. Sans me rendre compte de l'absurdité de la situation. J'étais à la merci du premier imbécile venu. Ou même du désintérêt de personnes avec qui nous avons été proches un moment (oui, quelques déceptions...). Mais ce n'est que depuis peu que je réalise que cette dépendance existe surtout vis à vis des personnes qui comptent le plus pour moi. Charlotte notamment, qui dispose donc d'un pouvoir considérable sur moi. Pouvoir bien embarassant pour elle qui n'a aucune envie de l'utiliser, mais qui doit en subir les conséquences lorsqu'elle voudrait être libre de me dire ce qu'elle ressent. Car tout reflet négatif de moi dans ses yeux a évidemment un impact très fort sur moi... «Je m'aime quand tu m'aimes».

Que je la déçoive, que je l'agace, que je l'énerve... et tout ce qu'elle me dira sera un coup porté à mon moral. Dans cette dépendance je l'entraîne avec moi. Elle n'est plus libre de ses mots... Et comme elle cherchera généralement à me protéger, elle se contraindra à garder, garder... jusqu'à ce que ça n'explose, faisant des dégats encore plus considérables. En fait, j'impose aux autres l'enfer que je me crée...

(je réalise tout ça au fil de l'écriture...)

Sur les forums, je me souviens que je m'étais rendu compte que c'est moi qui donnais le pouvoir aux autres de me faire mal. Et certains s'en sont déléctés (y'a toujours des gens bizarres...). Ne plus être en affecté leur enlevait au contraire toute prise sur moi. Mais même sans qu'il soit question que quelqu'un se serve du pouvoir qu'il a sur moi, le fait est qu'il bénéficie quand même de ce pouvoir. Et de cette "puissance". Je crois que désormais je sais me préserver du regard négatif de ceux qui ne me sont pas proches. En revanche, il n'y a pas beaucoup de changement avec les plus proches, les plus intimes. Je dépend encore de ce regard, même si j'apprends à me soustraire de cette dépendance. Mais je reste parfois demandeur... Et c'est pas bon du tout.

Parce que de demandeur on devient vite quémandeur, exigeant. J'attends encore parfois de Charlotte qu'elle m'écoute... alors qu'elle n'est pas forcément disposée à le faire. Et il peut m'arriver, notamment si je ne suis pas très en forme morale, de devenir exigeant. J'aime pas. J'aime pas quand je suis comme ça. J'aime pas imposer mes demandes aux autres. Je ne m'aime pas dépendre de quelqu'un.

Et on n'aime pas que quelqu'un dépende de soi. On aime être libre

Alors quand j'aime, si je vois que j'exerce une forme de pression sur celle que j'aime afin qu'elle réponde à mes exigences, quelle en souffre... alors je ne m'aime pas quand j'aime.


Peut-être que si je m'aimais moi-même je ne serais pas aussi dépendant du fait qu'on m'aime ou pas?



«j'ai perdu ma curiosité, je ne pense qu'à moi, je suis obsédée par les gens que mon blog m'a permis de rencontrer ou par l'espoir d'en rencontrer d'autres. Je deviens avide de contact, les voir, les entendre, recevoir des mails, lire des commentaires...

Comment en suis-je arrivée là ? J'ai le sentiment d'être sans cesse en train de « quémander de l'amour, de l'attention, de l'affection, comme un être sans cesse sevré et en manque » (...).

Je me déteste pour ça. »

Secrets partagés (30/04/2003)





Chuuuuut!



Vendredi 2 mai


Écrire ou pas? Exprimer ou garder en moi? Quelques lignes ou un très long texte? Suis-je libre d'écrire ici ce que bon me semble?

Je ne sais pas...
Je commence des bouts de textes que j'abandonne les uns après les autres. Trop noir, ou alors impudique, indécent... toujours quelque chose qui ne va pas. J'essaie de faire dans les métaphores et ça devient incompréhensible, ou trop clair, ou ridicule .

Pour qui écris-je? Pour moi? Pour vous qui me lisez? Pour elle?

Et si, pour une fois, je cessais de me répandre ici?
Chuuuut!





Troublant



Dimanche 4 mai


J'ai été aujourd'hui au contact d'un large public. Plusieurs centaines de personnes. Une foule aussi diverse et bigarrée qu'on peut l'imaginer. Hommes, femmes, chacun avec leur physionomie particulière, plus ou moins agréable à regarder. Tous ces gens venaient "pour moi", ou plutôt pour le métier que j'exerce. J'étais, comme il m'arrive souvent, "l'homme de l'art", le "professionnel", et donc souvent questionné ou sollicité pour un avis, des commentaires. Mais aussi attendant parfois en n'ayant rien à faire.

Ces moments sont toujours l'occasion de regards portés sur le physique des gens. Parfois hommes, s'ils ont une certaine allure, si se dégage d'eux une présence, un certain charisme. Bien plus souvent des femmes, pour les mêmes raisons... et d'autres aussi. Je regarde leur physique, comme tout homme qui aime les femmes (mais en toute discrétion quand même!). Leur allure générale, leur habillement, le visage, le corps. L'harmonie générale de leur silhouette, mais aussi des détails purement dirigés par ma masculinité. Leurs fesses, leurs seins, leur sexe. Du moins ce que leurs vêtements m'en laissent voir... Parfois certaines sont attirantes, notamment lorsqu'elles se penchent sur ma table et en oublient le décolleté plongeant qu'elles m'offrent quelques instants (merci mesdames...).

Honnêtement, je n'avais remarqué, de toute la journée, que très peu de femmes inspirantes (ce n'est pas un critère dénigrant envers les autres, juste une question de correspondance à mon archétype féminin). Deux ou trois, et encore...

Et puis tout d'un coup j'ai repéré de loin une grande femme mince, habillée avec une prestance qui tranchait. Elle portait avec élégance un chapeau, ce qui était surprenant dans le contexte. Jupe longue, chemisier blanc, longs cheveux remontés sur la nuque avec une barette... Je n'ai pas bien eu le temps de la voir, occupé à ce moment là avec un quelconque quidam. Peu de temps après j'aperçois de nouveau cette silhouette, qui, du premier regard, m'avait déjà marqué. Les traits de son visage étaient fins et j'entrevoyais une femme très séduisante. Lorsqu'elle s'approcha de mon point d'accueil, je la vis de dos, puis quelques instants plus tard elle était en face de moi alors que je levais le nez des papiers que je tendais à une autre dame. Je la dévisage quelques fractions de seconde, cherchant à saisir vers où se dirigeait son regard caché par des lunettes noires. J'avais l'impression qu'elle me regardait. Son visage me paru d'une beauté troublante, et extrêmement lisse pour une femme dont l'habillement laissait croire qu'elle était plus âgée. Oui, elle me regardait. Puis se mit à sourire...

Le temps que je me demande qui pouvait être cette charmante personne qui avait l'air de me connaître, que je cherche à percer ce regard obscur... et je reconnus ma fille!!!

Elle s'était déguisée et glissée au milieu de cette foule. Je reconnus en l'homme qui l'accompagnait mon plus jeune fils, pour qui je n'avais pas eu le moindre regard. Pffff, expérience troublante, je vous assure. Regarder sa fille comme une femme désirable...

Parce qu'elle était habillée comme si elle avait au moins 25 ans, élégante, en un lieu inattendu, j'ai porté ce regard sur elle. Un regard que, bien entendu, je m'interdis habituellement, même si les formes de son corps ne me sont pas invisibles. Mais il se passe quelque chose qui fait que ce regard, même s'il n'est pas dénué de masculinité, est avant tout celui d'un père. Et là, elle m'a affranchi de ce regard de père, me laissant là, un peu pantois, privé de ce double statut au profit de celui qui ne s'exprime jamais. Je lui en aurais presque voulu...

Mais j'en ai ri avec elle. Et ce fut l'occasion de lui manifester un peu de cette satisfaction que j'ai à la voir belle. Peut-être parce que cela m'a permis, à mon insu, d'avoir un regard plus objectif. Celui d'un homme sur une femme, et non d'un père pour sa fille. Ma fille est une belle jeune fille. Et je sais qu'elle saurait faire tourner sur elle des regards d'hommes. J'en ai ressenti un mélange de fierté et de crainte, en songeant simultanément à ceux qui la respecteront et les autres. Elle ne s'est jamais habillée "femme", encore trop heureuse de sa jeunesse pour chercher à imiter une féminité précoce comme tant d'autres le font autour d'elle. Ma fille a 16 ans et reste une adolescente bien dans ses baskets. Sa féminité elle la vivra en son temps, bien plus qu'elle ne cherchera à la surexposer par anticipation. Et je suis fier de sa capacité à ne pas se laisser influencer par ce phénomène. Elle est elle-même et ne s'invente pas un personnage par procuration.

Merde, elle était belle cette femme en chemisier blanc. Dommage qu'elle n'existe pas...


* * *



Régulièrement il m'arrive de m'interroger sur le rôle que ce journal tient dans ma vie.

Lien social, à l'évidence, quoique il le soit davantage qualitativement que quantitativement. J'ai peu de contacts, ils sont peu fréquents, mais ils me sont pourtant devenus essentiels. Ils ont quelque chose de profondément sincères.

Outil de reconstruction psychologique aussi (et surtout?), qui me permet d'évoluer vers ce que je suis avec une rapidité que je ne pensais pas possible. Même si ça reste lent, je peux comparer avec ce qui se passait lorsque je suivais une psychothérapie (qui pourtant aura été fondamentale pour la prise de conscience).

Mais... précisément, je me demande si cet outil ne serait pas trop puissant. Trop efficace, trop rapide. Et surtout... générateur de dépendance. Je me sens bien souvent attiré vers cet exutoire qui permet un plaisir libérateur immédiat, quitte a ressentir des effets secondaires moins agréables. S'il est rare que je regrette d'avoir écrit quelque chose, n'ayant (presque) jamais supprimé un seul de mes textes, en revanche je sais que parfois j'en porte le poids. Parce que me souvenant que j'ai écrit quelque chose, je m'efforce de rester fidèle à ces déclarations faites en public. Ce sont des déclarations d'intention qui, parfois, ont du mal à passer le cap de la réalité. Mais je lutte pour tenir bon et ne pas céder en feignant de les oublier.

Je pense en particulier à ces réflexions récentes que j'ai eues autour de l'amour, des amours parallèles, et en particulier de ce lien qui existe entre ma complice et moi.

Mais au dela de ça, il y a quand même une grande fatigue. Je m'épuise a approfondir autant, à aller chercher les raisons de mes comportements alors que parfois ils touchent à des fondements sur lesquels je m'appuie depuis toujours. Je cherche un nouvel équilibre intérieur et celà demande un travail considérable. Travail mental qui, à la longue, est épuisant. D'autant plus que parfois je vais plus loin que ma propre histoire et que je remonte jusqu'aux règles sociales qui ont façonné non seulement mon éducation, mais aussi celle de ceux qui me l'ont transmise. Mes parents. La réflexion que j'ai sur les liens de couple, mon rapport aux relations amoureuses, mon propre rapport à l'amour et à ma façon de le vivre selon un schéma prédéterminé... c'est beaucoup à la fois. Entre mes désirs et ce dont je suis capable, captif de règles que j'ai intégré avec tout le poids des générations qui m'ont précédé... il y a parfois un tel décalage, de tels tiraillements....

Et lorsque cet héritage, dont j'essaie de m'affranchir pour vivre plus en harmonie avec ce que je me sens être, se heurte avec les conceptions libres de ma complice, il y a forcément un moment ou un choc se produit. Trop de différences. Mes actes ne suivent pas mes souhaits. Mes limites ne se laissent pas franchir sans un temps de préparation.

Et c'est notamment dans ce cas que je me dis que mon journal est "trop efficace". Parce qu'il fait que ma pensée va plus vite que mes capacités à évoluer. J'aimerai... mais je n'y arrive pas. Comme si une partie de moi était dans un véhicule et que l'autre courrait derrière avec les pieds entravés, sans pouvoir rattraper. C'est une situation usante, et parfois déprimante. Pourtant, je m'accroche. Je ne veux pas renoncer. Je sais que j'ai besoin d'aller vers quelque chose de différent. Peut-être que je n'irais pas au bout de ce que je souhaiterais, mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras.

A ces moments de fatigue, je songe à mettre ce journal en veilleuse. Ecrire moins souvent? Ou moins long? Ou cesser pendant un certain temps? Ou ne plus évoquer de sujets qui vont me chercher en profondeur? Mais je ne trouve rien qui me satisfasse. Je sais surtout que si je me mets devant mon clavier ce sont les mots qui me dirigent. Je ne réfléchis pas, ce sont les mots qui viennent tout seuls.

Oui, je m'essaie aussi à des textes plus élaborés. C'est agréable, ça change. Et j'en suis même parfois content. Mais cela reste très minoritaire. Et puis généralement une muse m'inspire...

Et puis... et puis... il y a toujours ces différents niveaux de lecture qui s'entrecroisent. Des inconnus, des connus, ma complice. Et moi au milieu de tout ça, qui lançe à la fois dans l'inconnu et le très proche mon intimité. Folie que d'en dire autant, devant tant de regards différents. Pas parce que qui que ce soit puisse me trouver insensé de me livrer ainsi (après tout, ça fait partie du pacte tacite lecteur/écrivant), mais parce que cette transparence devrait m'être insoutenable. J'ai parfois l'impression de donner, donner, à qui ne demande rien. Donner me coûte (mais m'apporte aussi) et je ne reçois directement que très peu. Ce que je reçois vient du don silimaire des autres diaristes intimistes, des échanges épisodiques, et des courriers (encourageants, respectueux, parfois admiratifs) de lecteurs inconnus. Savoir que je touche quelque chose de sensible, ne serait-ce que pour un seul texte, et un grand réconfort. Par ce don sans retour équivalent, j'apprends aussi à me détacher du regard d'autrui. A ne plus ni l'attendre, ni le craindre. Mais tant que ça ne sera pas effectif, il m'en coûtera d'écrire dans ce journal. Energétiquement parlant.

Je ne suis pas à un paradoxe près: alors que je réfléchis sur le trop d'importance de ce journal, j'écris encore et encore.




Coupé du monde


Mardi 6 mai


Depuis quelques mois, je me suis coupé du monde. Pas seulement physiquement, puisque je vis déjà à l'écart des concentrations humaines, mais aussi mentalement. Je me suis concentré sur ce qui m'était essentiel, de façon très égocentriste. Nombriliste, diraient les mauvaises langues.

Et l'essentiel, c'est moi (en toute modestie...)! Enfin... pas moi tout seul, mais mes relations avec les gens qui m'apportent directement quelque chose. Oui, je vous l'ai dit: égocentriste. J'ai fermé les yeux et les oreilles sur le grand monde. Je n'ai pas vu une seule image de cette méga-guerre dont il a beaucoup été question (tiens, elle est déjà finie?), je ne suis plus rien de l'actualité. Je n'écoute même plus la radio le matin, où lorsque je mange seul à midi. Coupé du monde.

Plus surprenant, je me coupe même de mon environnement naturel. Moi qui aimais flâner aux beaux jours du printemps, me promener au soleil couchant, me coucher dans l'herbe qu'on sent pousser en cette saison... Rien, rien, rien. Je vois, mais ne regarde pas (bon, j'exagère un peu, je sais quand même prendre quelques instants). Hier, la lumière était extraordinaire, limpide, avec une atmosphère transparente. Les arbres répandaient leur toute nouvelle ombre, apportant des contrastes de luminosité oubliés, les chants d'oiseaux et les stridulations des grillons charmaient les oreilles. Je percevais tout ça, et songeais que je n'y étais plus sensible actuellement.

L'essentiel, se sont les moments passés en famille, notamment au cours des vacances qui se sont achevées hier. Mais uniquement ces moments de partage. Le reste, le quotidien, j'ai du mal à suivre. Je suis vite absent, ailleurs.

Où ça? En moi. A réfléchir, encore et encore sur le pourquoi des choses, sur mes réactions face à divers évènements. Je cherche à comprendre pour tenter de mieux diriger mon rapport à autrui. Ça n'a l'air de rien, mais c'est, je le sais maintenant, un ouvrage considérable. Et c'est pour cette raison que toute mon énergie vitale y passe. Je sais que ça peut être lourd à supporter pour les autres. Je sais aussi que, pour ces mêmes autres, il est important que je fasse ce chemin.

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Quoi? C'est tout? Pfff, t'oublies de dire le principal

Ah bon?

Ben oui, parce qui si tu es "ailleurs", si tu te consacres à "l'essentiel", tu sais très bien que tu n'y es pas seul.

Euh... ben...

Tu sais très bien que si tu t'es coupé du monde c'est parce que tu passes tout ton temps disponible (et même un peu plus) avec elle.

Euh je... [rougissement]

Tu ferais bien d'avouer qu'elle a pris beaucoup de place dans ta vie. Beaucoup beaucoup...

Chuuut!!!

Peuh! Comme si ça se voyait pas! Tu ne parles que de ce qui tourne autour de l'amour, des relations d'intimité, de fidélité. On sent bien que ça te travaille.

Mhoui, c'est vrai, mais j'essaie de rester dans un contexte général.

Haha, oui, sauf que tu écris des textes qui n'ont rien de général. C'est bien ton cas particulier qui t'intéresse.

Hmoui... mais bon, j'ai pas envie que ce journal vire à l'eau de rose. Je vais quand même pas raconter tout ce que je ressens et tout ce que peut m'évoquer cette charmante présence dans ma vie.

T'en brûles d'envie

Oui, mais je ne le ferai pas. C'est pas le lieu. Une histoire comme ça est quelque chose de privé. Je ne vais pas raconter un feuilleton.

Il n'empêche qu'on sent que tout ça te préoccupe.

Ben oui, parce que ça bouleverse tout un équilibre. C'est pas une situation que j'avais prévue. D'ailleurs, je ne maîtrise pas tout et il peut m'arriver de me fourvoyer.

Tiens oui, qu'est-ce qui s'est passé ces derniers jours? C'était un peu nébuleux...

Il s'est passé que... ben justement, ce que je vis me place face à moi-même, à mes valeurs, mes convictions, mes capacités, et que tout est remis en balance parce que j'ai rencontré cette femme. Ce que je croyais n'a plus cours, ce que je refusais est d'actualité...

Vachement clair ce que tu dis!

Patience, ça viendra. Depuis quelques jours je réfléchis sérieusement à ce que je suis, ce en quoi je crois, ce que je veux, ce que je peux...

Oh la la, des réflexions encore? Pfff, je sens qu'on va s'endormir en te lisant.

Hé, ho, je te rappelle que c'est pour moi que j'écris d'abord!

Ha ha, tu parles! Pour toi, d'accord, mais aussi pour les autres. Toujours dans ce but de sentir, tester, avoir un retour.

Boh... j'en ai pas tant que ça du retour...

Justement, ne pas en avoir te montre que ce que tu écris n'est pas incompréhensible, n'est pas inacceptable. Et ça, tu en as bien besoin. Parce que tu as quand même quelques difficultés a transgresser des règles que tu avais parfaitement intégrées.

Hum...

Tu cherches, si ce n'est une approbation, au moins une non-désapprobation. Et comme tu t'es protégé en mettant en garde ceux qui te désapprouveraient, en fait tu es tranquille.

Ben oui. Mais c'était bien le but aussi, non? Me défaire du regard d'autrui. Apprendre à être moi-même. Et si le hasard à voulu que je vive quelque chose d'aussi fortement impliquant... ben c'est que ce n'est pas un hasard. Peut-être même que c'était un objectif inconscient que de chercher à être libre dans ma tête justement dans le domaine qui m'est le plus précieux. Celui des sentiments de la sensibilité, de l'émotion. Peut-être que toute cette quète depuis des années me préparait à vivre ce que je vis actuellement: être capable d'être moi-même, vraiment, sans zones obscures. Sans refuser l'expression de ma sensibilité, de mes émotions, de mes sentiments. Dans quelque directions qu'ils se manifestent.

A suivre donc?

Oui, à suivre...




"Tu n'allais pas bien"


Mercredi 7 mai


Une petite voix au téléphone. Elle n'a pas trop le moral mais parle volontiers. Elle est même bavarde, exprimant sans retenue ses tergiversations intimes. C'est ma fille [oui, celle qui se déguise en femme séduisante], en internat la semaine . Je suis content qu'elle s'adresse à moi ainsi, avec confiance, tout naturellement. 

«Je sais pas pourquoi, mais ça va pas bien. C'est avec mon amie... enfin non... oui... je sais pas. Et puis ce garçon qui me plaît avec qui je n'ai pas réussi à parler. Et puis je réfléchis tout le temps, surtout quand ça va pas. J'aimais mieux quand j'étais petite, je ne me posais pas de questions, tout était simple». Oh la la, ma pauvre fille, si tu savais comme je connais de que tu ressens (ça, je ne lui ai pas dit). J'ai essayé de lui transmettre mes "recettes". Ne pas s'isoler, essayer de communiquer, avec les autres ou avec soi, en écrivant par exemple. Tenter de trouver le point d'origine du mal-être. Entre le avant-tout-allait-bien et le -maintenant-ça-va-pas, il s'est certainement passé quelque chose, un micro-évènement passé inaperçu, mais qui a joué un rôle important. Ces questions qu'elle se pose proviennent de l'état consécutif à ce point de départ. Eclaircir ce premier point, comprendre ce qui s'est passé et comment ça agit sur elle. Tenter de suivre l'enchaînement de pensées qui l'ont amenée à cet état de morosité. Tant qu'à réfléchir, au moins que ça soit dans un but constructif.

«Est-ce que ça arrive encore, quand on est adulte, de ne plus savoir où on est en est? De ne même plus savoir pourquoi on vit?»
«Euh... oui.»
«Oh nooon, je croyais que ça ne se passait qu'à l'adolescence! C'est pas marrant alors!»
«Oui, mais c'est beaucoup moins fréquent quand on mûrit. Tu sais à ton âge, je vivais en permanence dans cet état d'instabilité et de questionnements sans fin, c'était très éprouvant. Maintenant ça m'arrive rarement... mais c'est en revanche c'est plus intense, plus désespérant»
«Oui, il y a quelques jours ça se voyait bien que tu n'allais pas»
«Hum... oui, c'est vrai»

Lorsque nous avons fini la conversation, elle semblait aller mieux. Elle allait aller prendre une douche pour se faire du bien, puis aller parler avec son amie, ou d'autres copines.



«Oui, il y a quelques jours ça se voyait bien que tu n'allais pas»

Ben oui, ça n'allait pas. Moi aussi je me posais des questions sur le sens de ma vie, sur les difficultés de communication entre les êtres. Avec Charlotte on était dans une impasse. Elle qui trouvait que je me questionnais trop et ne supportait plus que je lui fasse partager mes états d'âme. Et moi qui ressentais justement qu'elle m'échappait parce que je ne trouvais pas avec elle le partage dont j'avais envie. Attentes contradictoires, blocage, et... impossibilité d'en parler puisque ç'aurait été faire précisément ce qu'elle ne supportait plus. Décalage. Mutisme de ma part, enfermement en moi, basculement vers un état déprimé. Je savais qu'elle avait raison de m'exprimer son ressenti, mais ne savais comment répondre à son attente.

Je me retrouvais seul.
Hum... sauf que maintenant je ne suis plus vraiment "seul", même si ça ne va pas avec Charlotte. Je pouvais continuer à communiquer avec ma complice. Ce que j'ai fait.
Sauf qu'à peu près au même moment ma complice a été très occupée professionnellement. Débordée. Alors tout d'un coup, je me suis senti mal. Le contraste était trop vif entre ce bonheur à communiquer que j'exprimais il y a quelques semaines, et la soudaine difficulté de communication avec ces deux personnes dont je suis le plus proche.

Je devrais être autonome, et capable de vivre en autarcie. C'est pas un bon truc que de dépendre ainsi de la communication avec ceux dont le regard compte. Je n'ai pas à perdre le moral lorsque l'autre n'est plus en face de moi. Mais je ne sais pas encore faire...

Et effectivement je me suis planté! Mal à l'aise, en situation de "manque affectif", déstabilisé, je n'ai pas su tenir bon en attendant que ça passe. Ont ressurgi alors tous les mauvais éléments de ce qui me constitue. Je me suis mis à douter de ce qu'éprouvait ma complice pour moi, devenue presque silencieuse, et j'ai cédé à ce que je refusais jusqu'alors. Un silence trop long pour moi, et je n'ai pas caché mon attente et, de fait, ma dépendance.

Dépendance. Le mot est lâché. A ce moment là, j'ai senti que ce que je ressentais pour elle allait au delà de ce que je croyais (ou de ce que je voulais bien voir). Le fait d'être privé de nos échanges m'a fait basculer vers ce que j'avais toujours refusé de se laisser développer. Toutes mes belles phrases autour de ce [pas de mot existant] semblaient n'avoir été qu'un leurre. Ça ne tenait que parce que nos échanges étaient denses et me satisfaisaient pleinement. Mais dès qu'ils se sont espacés un peu trop, un jour de trop (par un coup de malchance), le vernis à sauté.

Oui, je me suis rendu compte (plus tard) que j'étais pris dans le filet de l'état amoureux. Pour le meilleur (les sensations)... et aussi pour le pire (cette dépendance). Le pire parce que toute notre relation est batie sur l'idée de liberté, et que la dépendance n'est pas liberté. Je ne veux pas ressentir cette dépendance. "Attachement libre" avons-nous défini.

Par la suite nous avons pu nous expliquer, et le *petit* problème était à peu prés résolu. Sauf que... la vie fait que certaines périodes ne sont pas propices. Ni de mon coté, ni du sien nous n'allions bien, pour des raisons différentes et indépendamment de nous deux. Alors un peu fragilisés par ce petit premier accroc, quelque chose a fait que le tissu s'est brusquement déchiré sur toute sa longueur. Craaaac, comme ça, sans qu'on ne l'aie vu venir. Succession d'incompréhensions, de réactions, de maladresses, de doutes. On ne se connaissait pas sous tous nos aspects, et notamment les plus sensibles.

Le choc de deux fragilités qui se brisent l'une contre l'autre. Et en quelques heures, quelques jours, tout semble en miettes, éparpillé, perdu. Ce qui était si merveilleux quelques temps plus tôt paraissait, sans qu'on n'y comprenne rien, anéanti. Comme si cet autre, tout à coup, n'existait plus. Une autre personnalité était entrée en jeu, inconnue, trop différente. Comment comprendre ce changement?

Quelques jours d'enfer, avec, comme le disait ma fille, cette envie de ne plus être là, de ne plus être rien, de ne plus exister. Le néant existentiel. Et des questions, des questions, des montagnes de questions. Des avalanches de questions. Pourquoi, comment? Qu'ai-je fait? Qu'ai-je dit? Pourquoi ai-je dit? Pourquoi m'a-t-elle dit? Vers quoi va-t-on? Tourbillon infernal. Et la lumière au bout du tunnel qui vacille, va et vient, s'éloigne alors qu'on vient de la ramener un peu plus près...

[Oh la la... A ce point? Faut-il donc qu'elle lui ait tourné la tête...]

Explications, longues, longues. Rechutes, pires encore à chaque fois. Impression de tomber, de tout perdre. Voir le bonheur s'enfuir et le pleurer d'un vrai chagrin desespéré... Impression de me préparer à un deuil, sentir déjà le cri au fond de ma gorge. Non, non, pas ça. Amertume, tristesse infinie. L'exact opposé du bonheur. Un air qui me vient dans la tête: «fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve...». Alors le bonheur ne serait qu'éphémère et se paierait au prix fort ensuite? Aussi cher qu'il a été bon? Le bonheur au prix de la souffrance? Faudrait-il s'en priver pour ne pas pleurer sa perte un jour?

[Pfff, l'en fait pas un peu trop là? C'est quoi ce drame? Tout ça juste pour une incompréhension? Ééééh bééé, faut pas qu'il nous dise que c'est "plus qu'une amie". Il est complètement accro, oui!]

S'accrocher, ne pas renoncer, retrouver le fil, retrouver le fond de l'âme. Tout ce qui s'est passé avant ne peut pas être une illusion. Non, on doit rester ensemble, ne pas s'isoler. Ne pas souffrir chacun de son coté sans plus rien comprendre. Ce serait se perdre.

Et puis un début d'explication qui apparaît. D'un coté, de l'autre. Merci infiniment à son ami A. d'avoir compris et su dire. Alors doucement, lentement, se réapprivoiser. Découvrir la complexité de ce que nous sommes sous différents cotés, dans des situations difficiles. Connaitre des fragilités insoupçonnées, des failles, les adopter, les aimer. Parce qu'elles font partie de ce qu'est l'autre. Apprécier d'être admis dans ce domaine secret, avoir l'impression d'entrer davantage dans l'intimité de l'autre. S'écouter, s'entraider. Et reconstruire quelque chose de plus solide encore, de plus confiant.



C'était il y a quelques jours, et c'est déjà loin. Marquant pourtant. Une expérience commune, difficile, qui aura suscité beaucoup de réflexions pour moi. Un changement aussi dans la façon de vivre cette relation. Et puis la compréhension beaucoup plus claire de certaines choses.

D'abord, en sentant que je pouvais perdre cette complice, j'ai mesuré bien mieux toute la valeur de cet attachement. Ensuite, que c'est en terme de "force" que notre lien doit exister, en me méfiant de "l'intensité". La force a de l'inertie, ne vacille pas à la moindre brise, sait patienter. L'intensité exacerbe les sensations... vers les extrêmes.

Je sais aussi que mes actes ne suivent pas mes idées au doigt et à l'oeil. Que je dois rester vigilant et ne pas me laisser mener par un coté trop passionnel. Ce que je veux mettre en place avec ma complice, mais aussi avec Charlotte, demandera parfois un travail de résistance face à des comportements qui s'imposent spontanément.

Je sais que je peux me tromper. Je croyais à peu près maîtriser ce que je vivais, solide, sans subir les effets dangereux du sentiment amoureux. Foutaises! Même quand on se méfie, même quand on a 42 ans, même à distance, même en gardant la tête froide... on n'est pas à l'abri d'une perte de contrôle. Fallait-il ne pas vouloir le voir pour l'oublier!

Je sais aussi que la confiance que j'ai en ma complice s'est renforcée et que je me sens paré à affronter d'autres tempêtes. Même si je sais qu'une tempête est éprouvante et pourra me faire peur et perdre à nouveau mes moyens. Je ne suis pas infaillible...

Je suis encore plus convaincu que l'amour doit se vivre sous le signe de la liberté. «Je m'aime lorsque je t'aime» et «j'aime ce qui te rend heureux(se)». Mais pas dit comme de belles phrases pour faire joli. Non. Intégré dans la pensée, sans qu'il n'y ait d'effort à faire pour y parvenir. Parce que les efforts craquent en certaines circonstances et démontrent la fragilité de l'édifice. Je sais aussi que je n'ai pas encore intégré tout ça et que je reste donc fragile de ce coté là. Mais je sais aussi que j'ai envie de faire miennes ces idées là.

J'ai aussi constaté que je ne renonce pas lorsque je tiens à quelque chose (ça, je le savais déjà...). Et que je sais être direct et sûr de moi lorsque c'est nécessaire.



«J'en veux au temps qui me vole mes mots. Et s'il me vole mes mots, ne me vole-t-il pas en même temps mon histoire ? Si je ne peux pas écrire ce que je vis, est-ce que je le vis vraiment ? Il me semble parfois que les choses n'acquièrent leur véritable existence que dans leur mise en langage. Ce qui reste dans le mutisme du silence n'a que la réalité des songes. Ce que je refuse, je le tais, comme si je pouvais ainsi l'effacer. Au contraire, si je me mets à parler de ce dont j'ai peur, ces craintes soudain disparaissent : matérialisées par les mots, elles se sont aperçues qu'elles n'étaient objectivement que du vent. J'écris, donc je suis, et non pas seulement j'écris parce que je suis.»

Regards solitaires (05/05/2003)





Jusqu'à quand?


jeudi 8 mai


A nouveau une discussion lourde avec Charlotte. Alors que quelques heures plus tôt elle me disait un "je t'aime" (ce qui est finalement rare de sa part dans une formulation aussi claire), c'est dans un certain tumulte que la soirée s'est achevée. Et toujours un peu sur les mêmes choses: elle a du mal à suivre mes changements.

Notre situation devient parfois difficile, parce que je poursuis mon chemin mais sans elle pour le moment. Jusqu'à quand? J'aimerai communiquer avec elle, et nous le faisons souvent, mais pas forcément sur le fond (notre relation, nos attentes, nos manques). Je crois qu'il a toujours existé un décalage entre nous, dont nous nous sommes plus ou moins accomodés. Mais il se révèle davantage maintenant que je modifie un peu l'équilibre. Nous avons évolué lentement, tous les deux ensemble ou alternativement et les adaptations se faisaient tant bien que mal. Mais ce qui se passe en ce moment nous ébranle. Pourtant je pensais il y a encore peu de temps que nous allions vers une certaine sérénité...

C'est peut-être parce que j'extrapolais ma propre vision? Parce que je me sens bien avec elle, que je l'accepte telle qu'elle est et que je peux l'aimer de façon plus entière. Mais il semble que ça ne suffise pas. Il y a sans doute autre chose contre lequel je ne peux rien... mais que je connais très bien: l'auto-dévalorisation. C'est un mal redoutable qui fait entendre tout ce qui n'est pas positif comme étant, par effet contraire, négatif. Soit tu m'aimes en intégralité, soit tu ne m'aimes pas. Pas de demi-mesure. Pas de nuances. Que je dise que je ne trouve pas chez elle une part de mes attentes (au sens large) et immanquablement elle se sent "nulle", sans intérêt. Comme si elle devait être une sorte de perfection pour me plaire. Et que si ce n'est pas le cas, elle se demande ce que je fais avec elle.

Je connais cette tendance, ce qui fait que j'essaie de m'expliquer longuement, afin de ne pas susciter cette impression défavorable. Mais il semble que mes mots n'en acquièrent qu'encore plus de force négative. D'où ses demandes réitérées afin que je cesse de lui parler de choses trop lourdes...

Donc... soit je ne dis rien et nous risquons de nous éloigner l'un de l'autre. Soit je parle et nous nous éloignons parce qu'elle ne supporte pas. En revanche, elle va me parler de détails du quotidien qui ont, je l'avoue, bien peu de saveur pour moi. Ce qui l'agace puisque elle estime que je ne m'intéresse pas assez à ce coté matériel des choses. L'impasse...

Hier dans la nuit, elle me disait qu'à chaque fois que je vivais des choses fortes sur internet, ça déstabilisait notre couple. Or elle ne comprend pas que si je vais sur internet... c'est précisément parce que je ne trouve pas mon équilibre dans notre couple. Et si je me lie d'une très forte amitié avec une complice, c'est que j'en ressens certainement le besoin.

Tout ça (et je reste succinct) me travaille quand même. Nos disputes, qui étaient rares, reviennent à une fréquence trop rapide. Et ce qu'attend Charlotte de moi me semble impossible à mettre en oeuvre. Je n'ai plus envie de faire des concessions trop pesantes. Je ne veux plus oublier ce que je suis, m'empêcher de vivre ce qui me plaît pour lui être agréable. D'abord parce que ça ne marche pas (en se forçant on n'est jamais vraiment détendu), et ensuite parce que si je veux aller vers moi je dois savoir m'écouter. Mais je comprends aussi qu'elle même ait envie de suivre la même logique que moi. Je l'encourage même à le faire.

Pourtant, il se pose une question évidente, qui commence à me revenir régulièrement dans la tête: comment concilier nos attentes différentes? Est-ce possible? Et sinon...???

Je ne me suis jamais posé sérieusement cette question depuis vingt ans. Exceptionnellement lors de grosses crises, pendant quelques heures. Mais pas de façon récurrente comme en ce moment.

Je n'aime pas bien envisager ces choses-là...

Hier soir, elle m'a dit: «Je me demande si on s'aime encore». Moi je sais que je l'aime... tant qu'elle ne m'impose pas de suivre un chemin qui ne serait pas le mien.


Peut-être est-ce pour éviter que ces questions ne se posent qu'on dit «Tu joues un jeu dangereux». Comme s'il était préférable de ne pas risquer de bouleverser les choses. Que le status quo était préférable à l'évolution.




Inadmissible



Vendredi 9 mai


Je viens de lire un texte de la belle Cassandra, intitulé "Pas grand chose". Un texte qui m'a bouleversé et ému aux larmes. Le récit d'une blessure inguérissable. De ce genre de blessures qui sont infligées à des adolescentes par des hommes. Pire encore... par leur père. Il y a quelques temps, une internaute racontait celles infligées par un frère. Et régulièrement on lit, souvent exprimé de façon très pudique, quelques mots, quelques lignes, ou un long texte qui essaie de mettre cette souffrance en mots.

A chaque fois je suis atterré. J'avais beau savoir que ça existait, je ne pensais pas que ça puisse être aussi répandu. Combien de femmes ont-elles été ainsi salies par des hommes? Marquées à vie par des gestes, des mots, ou la vision forcée. Tant de violence mentale...

J'ai honte de ces hommes-là. J'ai honte d'en être un. Je porte le poids des saloperies des autres, même si je n'y suis pour rien. Je le porte parce que je sais qu'au fond de moi existent ces pulsions masculines qui me font voir une femme comme un être désirable. Je le sens bien que je regarde des femmes comme "objet" de fantasme. Bien sûr que dans ma tête sont passées toutes les idées les plus primaires, plus ou moins instinctives, animales. Mais laisser s'exprimer ce genre de pulsions en oubliant que, justement, ce n'est pas un "objet" qui est en face, mais une sensibilité, une fragilité, une vie.... là, ça dépasse mon entendement. Quel mépris pour autrui, quel dégré d'égoïsme pour se laisser aller à ça! «J'ai envie, je prends». Abject, odieux, inadmissible.

Je pense que tout homme, et peut-être toute femme (??? -ça je ne sais pas, mais je crois que c'est différent-) ressent au fond de lui ce désir sexuel envers des femmes (ou hommes, donc) qui le séduisent. Ça, on ne peut pas le réprimer. Mais le passage à l'acte, oui. Puisque je suis père d'une jolie fille de 16 ans, il m'est à la fois "facile" (!?) et effroyable d'imaginer ce qui peut se passer dans la tête d'un autre. Je disais récemment, à la suite d'une anecdote troublante, que je n'ignore pas la féminité de ma fille. Je vois très bien ce corps charmant, jeune, non dénué d'un certain attrait (même ces mots sont difficile à écrire...). Cependant il existe un barrage mental tel que ce simple regard est déjà perturbant et déclenche une contradiction interne. Si je commence à lui signifier discrètement que sa féminité existe, qu'elle peut plaire (ça me semble important qu'elle sache que l'homme-référent que je suis a aussi ce regard sur elle), en revanche je m'interdis tout mot, ou regard, qui trahisse la moindre pulsion, le moindre "désir". Parce que je sais que ce serait pour elle une agression. Un simple regard qu'elle sentirait serait déjà une agression.

Alors que peut-il se passer dans la tête d'un homme qui ne voit plus sa fille, mais seulement son propre désir? Sa propre minable jouissance personnelle. Mais quel égoïsme, quelle monstrueux egoïsme. Se faire passer avant l'autre, oubliant volontairement la blessure qui s'en suivra. Ou alors considérer la femme comme un simple objet de fantasme, lui niant jusqu'à son intégrité mentale (ou physique, ce qui revient au même). Quel mépris.

Tout comme le viol de femmes anonymes, les attouchements, les carresses, l'exhibition sexuelle envers sa fille sont des actes de violence mentale qui cassent définitivement une part de la personnalité et infligent une blessure inguérissable. Même si certaines parviennent à pardonner, surmonter, elles gardent (je suppose) cette blessure à vie. Et bien souvent une culpabilité sourde qui fait autant de ravages dans l'esprit.


Je sais bien qu'on peut toujours trouver des explications à ce genre de geste: inconscience de leur gravité, incapacité à se maîtriser (?), modèles moraux ou culturels erronnés... Mais c'est pour ça qu'il est important que les victimes en parlent afin que personne ne puisse prétendre ne pas s'être rendu compte des choses. Qu'elles se libèrent aussi de leur culpabilité et de leur honte. Et que les hommes aussi parlent, afin de rappeller que ça n'a rien d'inéluctable.




L'une et l'autre


Samedi 10 mai


Je me suis rendu compte de quelque chose qui me semble important, en discutant avec Charlotte ce matin (oui, on discute quand même malgré que ce petit "froid" demeure). En fait, ce manque que je ressens à ne pas pouvoir discuter autant que je le souhaite, et sur les sujets qui m'intéressent, provient essentiellement d'une culpabilité.

J'ai (j'avais) du mal à me dire que je puisse discuter d'avantage, de façon plus intime, avec une autre que ma femme.
Tout est là. Et ce matin j'ai compris enfin que c'était le coeur même de cette démarche d'émancipation que j'effectue. Si j'ai besoin de partager avec une "âme-soeur" une complicité très grande, c'est parce que je ne l'ai pas eue dans toutes les dimensions avec Charlotte. Avec ma femme je discute très librement, avec une grande confiance, sur un large choix de sujets. Mais pas sur tout ce qu'il me plairait d'évoquer. Et si j'ai été autant attiré par cette complice, c'est précisément parce que je pouvais partager avec elle des sujets de préoccupation communs. Et notamment... ce besoin d'avoir des relations plurielles. Je suis donc en plein dans mon sujet.

Je sais désormais que je suis parfois plus proche de ma complice que de ma femme. Ma complice me connaît sans doute bien mieux que Charlotte dans ce que j'ai de plus personnel. Je crois que je m'en sentais coupable et que ce besoin de communiquer avec Charlotte était une façon de ne pas laisser apparaître cet écart. Parce que "c'est pas bien" de se sentir davantage complice avec une autre. En fait, cette réaction est stupide (oui, je sais...) parce qu'il s'agit tout simplement de complicités différentes. L'une ne surpasse pas l'autre, elles sont complémentaires (je parle des complicités). C'est tellement évident que je me demande comment je ne l'ai pas compris/admis avant.

Bon... je sais aussi que si j'étais resté dans une amitié stricte ça n'aurait pas déclenché cette culpabilité. Et ll y a quelques semaines, refusant encore de sentir que cette "plus qu'amitié" tendait quand même furieusement vers un sentiment amoureux (ouais, faut me laisser le temps d'assimiler et de constater les évidences), j'évoquais régulièrement cette différence. Ce n'est que lorsque j'ai admis que je ne pouvais plus me cacher que... et bien oui, j'aime ma complice, qu'une sorte de blocage s'est fait. Si je l'aimais, il fallait que ce soit... comment dire... un peu moins que Charlotte. Donc, j'ai inconsciemment voulu rattraper avec Charlotte ce déficit de dialogues par rapport à ceux que j'avais avec ma complice. Et évidemment ça n'a pas marché. D'où mon profond désarroi, et la peur de sentir que nous risquions de nous éloigner l'un de l'autre.

Maintenant, si j'admet que ce que je ressens pour chacune d'elle est différent, ne se compare pas (j'ai toujours refusé la comparaison), alors je crois que je peux aimer beaucoup plus librement chacune d'elle.
Oui, je suis marié, et partage donc une grande complicité avec mon épouse. Fondée sur les années passées ensemble, une tendresse, un partage d'idées et de vécu. J'ai été amoureux d'elle il y a bien longtemps et au fil des années cela s'est transformé. Maintenant je l'aime, bien que certaines dimensions de l'amour se soient émoussées... ou jamais vraiment révélées. Mais notre attachement mutuel est profond.

D'un autre coté j'ai rencontré une personne avec qui je vis une autre forme de complicité. Je ne partage pas ma vie avec elle, mais beaucoup de temps. Sans doute davantage qu'avec ma femme, cérébralement parlant. Notre passé est encore récent et s'est infiltré dans nos vies sans que nous nous en rendions vraiment compte. C'est un mouvement spontané, fait de curiosité, de fascination, de séduction, d'attirance, fondé sur nos "âmes" (pensée/esprit/coeur... comme vous voudrez), mais qui a opéré de façon tellement légère et naturelle qu'il n'a été qu'évidence.

Entre les deux, je n'ai pas à choisir. C'est comme si on demandait à un parent de choisir entre deux enfants. J'aime l'une et j'aime l'autre, de façon différente. Et je partage avec chacune d'elle des aspects différents de ma vie.


* * *



Hier, en lisant Cassandra, je me suis mis à pleurer. En lui écrivant un petit mot, je ne parvenais même plus à voir ce que j'écrivais derrière toute cette eau salée qui me piquait les yeux. Je n'étais pas obligé de mettre ce genre de choses dans mon texte, ça n'apporte rien. Sauf que ça signifie le degré d'émotion dans lequel je me trouve parfois.

Traditionnellement, culturellement, les hommes ont longtemps caché leurs larmes, perçues comme un signe de faiblesse, de sensiblerie, donc de féminité déplacée (ben tiens!!). Mes larmes se sont révélées à moi lors de l'enterrement d'un père de famille d'une trentaine d'années, un proche décédé accidentellement. Ce jour là (il y a une dizaine d'années), je me suis vu fondre, me liquéfier, sanglotant sans plus pouvoir me retenir. Je ne connaissais pas ça. Je ne pleurais pas le défunt, mais le bonheur perdu de sa femme, ses enfants, ses parents.
Il y avait autour de moi beaucoup de monde, ma famille. J'ai tenté de rester discret et relativement silencieux, mais je ne pouvais pas faire grand chose. J'ai admis, en même temps que je découvrais cette émotivité, que je ne pouvais pas la cacher. Je devais en accepter les manifestations. Tout ce que je peux faire, c'est me mettre à l'écart, me cacher un peu, mais pas me retenir.

Maintenant je l'écris. Parce que ça fait partie de moi. Je n'en ai pas honte. Je sais que mon émotivité est aussi sensibilité, donc source de joies. Il m'arrive aussi de pleurer de bonheur, et ça c'est quelque chose de très doux. Ce n'est pas rare, depuis que je vis cette si belle complicité.

Je sais que mes larmes sont toujours liées au bonheur. A sa présence ou à sa perte. Je pense qu'il n'y a pas de capacité au bonheur sans sensibilité émotive.




Trouver un nouvel équilibre


Lundi 12 mai


Donnez-moi du temps! Du temps, encore du temps. Du temps pour penser, du temps pour écrire. Du temps avec Charlotte, du temps avec ma complice. J'en manque toujours...

Nous avons eu un longue discussion avec Charlotte, après que je lui ai demandé de me préciser quelles étaient les noires pensées qu'elle m'avait dit avoire eues lors de notre dernière... euh... incommunication. Je me doutais bien de quoi il s'agissait et, effectivement, elle s'était dit que nous ne nous aimions plus et qu'on ne pouvait plus vivre ensemble. Je le sentais parce que j'ai pensé la même chose. Mais c'était à un moment de blocage. Depuis nous avons renoué le contact et nos dialogues sont constructifs.

Il n'empêche que nous prenons conscience que quelque chose ne fonctionne pas entre nous. Il faut que nous nous adaptions à une nouvelle façon de vivre notre relation. Charlotte se rend compte qu'elle s'est oubliée pendant bien trop longtemps pour "suivre" ce mari qu'elle admirait. Récemment elle m'a dit une phrase, pas uniquement destinée à moi, hautement révélatrice de son oubli d'elle-même: «J'en veux à la personne à qui je veux faire plaisir». 
Et moi je suis navré (culpabilité) qu'il en ait été ainsi sans que je ne m'en aperçoive. Qu'elle m'ait "donné" beaucoup de choses qui lui ont coûté trop cher.
De mon coté j'ai essayé de tendre vers ce qu'elle attendait de moi, mais je me rends compte de mes limites: je ne serai jamais l'homme qu'elle attend. Je ne serai jamais sociable en groupe, mais plutôt intimiste et préférentiel. C'est comme ça.

Problème, donc. Problème très classique d'une certaine vision du couple dans le regard global de la société, transmis par notre milieu éducatif: partager une vision commune et tendre à ne former qu'un. On s'est faits avoir sans même s'en rendre compte, alors même qu'on avait connaissance théorique d'un phénomène assez général (pour notre génération et notre milieu).

Depuis que j'ai entrepris cette révolution intérieure pour aller vers mon "moi" authentique, tout l'édifice artificiel sur lequel nous avons construit notre relation est ébranlé. Et pourtant, nous souhaitons poursuivre ensemble. La question est de savoir comment...

En fait tout se téléscope (parce que dès qu'on touche quelque chose, ça tire aussi d'un autre coté). Il y a bien sûr, cette relation parallèle que je vis avec ma complice. Charlotte sent bien que cette fois ce n'est "pas pareil" que ce que j'ai pu vivre auparavant. Elle constate que ça dure, que ça s'installe. Et je ne lui cache pas que je n'y vois pas de fin... Je ne triche pas avec elle, lorsque je sais quelque chose de façon sûre, je ne lui cache pas.
Il y a aussi, conséquence directe de cette relation parallèle, tout mon rapport au couple qui est vu sous un angle nouveau. Charlotte n'est plus "la seule" dans ma vie. L'unique qui était tout pour moi. Elle perd à la fois ce regard unique et, sans doute, aussi une part du "pouvoir" que ça lui donnait sur moi.

D'un autre coté, elle ne le sait pas encore, cette présence autre est pour elle une assurance: celle qu'elle compte beaucoup pour moi. Parce que si je reste avec elle, bien que je partage tant d'affinités avec ma complice, c'est que j'y tiens. Il me serait "facile" (façon de parler) de désinvestir le couple si je ne ressentais plus rien à son égard. Je la rassure bien souvent parce qu'elle a du mal à comprendre que je puisse m'intéresser à une autre sans que ce soit à son détriment. Très facilement elle dit "si tu te sens bien avec une autre, c'est que tu ne m'aimes plus". Je lui répète alors cet argument bien connu: l'amour ne se divise pas, il se multiplie. Tout comme dans les relations d'amitié, tout comme l'amour parental, on n'aime pas moins quand une nouvelle présence arrive. Mais c'est difficiiiile à concevoir, tout empêtrés que nous sommes dans le modèle culturel commun.
Pourtant, elle semble l'admettre. Je sais que c'est une façon de voir qui retient sa curiosité. Même si cela se cogne avec la jalousie.

Si depuis un moment nous savons que notre salut réside dans une séparation de certaines de nos activités, il semble qu'il faut accentuer encore cette tendance. Notamment pour le coté relationnel... et familial. Oser (ben oui, c'est pas évident) aller séparément chez les uns ou les autres. Casser cette présence en double, systématique, automatique, "allant de soi". Casser l'idée même de couple institutionnel et aller vers l'idée de couple choisi. Parfois en couple, et parfois non, selon que nous nous sentons bien dans cette situation ou pas. Toi, moi, et nous (1+1=3). Et non pas "nous" en permanence. Bon, ça fait un moment que ça se passe de temps en temps comme ça, mais rarement face au regard d'autrui. Ou alors avec de "bonnes raisons", justifiant cette séparation temporaire (ce qui évite les regards surpris et inquiets).

J'ai envie de dire, le plus simplement du monde "Charlotte? non, elle a préféré faire autre chose". Ou au contraire de la laisser aller sans moi, là où je sais que je m'emmerderai de toutes façons. J'aurais même très envie de dire, tout aussi naturellement: "oh en ce moment je vis quelque chose d'extraordinaire avec une autre femme", sans craindre de voir des yeux ronds me fixer comme si j'étais un extra-terrestre ou si je disais une grossièreté.

Il faut vraiment que je parvienne à faire abstraction de ce regard des autres...


* * *


Impudeur


Dans l'expression de l'intime, y a-t-il plus impudique que l'écriture introspective en direct (ou à peine différé) tel que certains d'entre nous la pratiquent? S'il y a un certain engouement pour l'édition du journal intime de personnalités, dont on peut se demander s'ils ne sont pas expurgés d'une part de leur contenu initial, je me demande si l'écriture au quotidien de nos pensées intimes d'anonymes n'est pas plus audacieuse... ou folle.
Parce que précisément nous ne bénéficions pas de ce décalage temporel. C'est au présent, donc encore "là" dans les jours qui suivent. On n'oublie pas une entrée un peu révélatrice. Elle reste là, éclairant durant un certain temps les écrits ultérieurs

Il y a aussi cette lecture simultanée. Dans la même journée ce seront plusieurs dizaines de personnes qui auront parcouru ces lignes si fraiches, les pixels à peine secs. Personnes dont on sait qu'elles peuvent intervenir, et qui le font parfois nous tendant comme un miroir nos écrits.

Pourtant cette impudeur est aussi une force. Parce qu'elle permet de toucher parfois au fond de l'âme des inconnus (ou des connus). Lorsque je reçois un message qui me dit que j'ai su mettre des mots sur un ressenti qui ne savait s'exprimer, j'en suis très heureux. Je sais que cette impudeur aura été utile et aura aidé l'autre dans la découverte de soi.



Équation impossible


Mardi 13 mai


Y'a des jours difficiles...

Je me demande vers quoi je me suis laissé aller avec ma complice. Je me rends compte qu'avec le temps les choses vont forcément se compliquer. En particulier parce que j'entraîne Charlotte dans mon sillage, par la force des choses.

Si moi je parviens à surmonter mes blocages, mes habitudes, il n'en ira pas de même pour elle. Et régulièrement je me heurte à ses limites qui, de fait, deviennent les miennes. J'ai beau pousser les murs de la cage, vient un moment où je suis au bout, le nez contre les barreaux.

Jour après jour je constate qu'elle n'entend pas l'évidence. Elle accepte une part des choses, celle qui lui paraît supportable, mais occulte le reste. Aujourd'hui elle m'a dit, au détour d'une phrase «quand ça sera fini entre vous». Ainsi, elle imagine que ce que je ressens n'est que quelque chose d'éphémère, et elle en attend la fin. Tout ça parce que je lui disais mieux comprendre de sa part un sentiment qui ressemble à la jalousie: la peur de moins compter qu'un/une autre. Or cette compréhension lui importait peu. Ce qu'elle a entendu c'est que je pouvais ressentir cette simili-jalousie vis à vis des relations de ma complice (ce qui signifiait l'importance qu'elle a à mes yeux). Alors que j'allais vers elle, heureux de mieux partager son souci, elle a perçu tout autre chose.

Je n'ai pas compris tout de suite ce qui m'avait touché dans sa réaction. En fait, c'était un imperceptible petit plaisir à me croire blessé par le sentiment de jalousie. Ça, ça fait mal...

Et c'est ça qui ne va pas. J'ai pas envie d'avoir mal, j'ai pas envie de faire mal.

Alors je suis un peu perdu. Parce que je ne vois pas de chemin qui me semble bon. Je ne peux renoncer à cette complicité. Je ne veux pas faire souffrir Charlotte. Je ne veux pas souffrir non plus. Mais il me semble que c'est l'équation impossible

Complice+moi+Charlotte = moi+bonheur = Charlotte+souffrance
Complice+moi = Charlotte+souffrance
Charlotte + souffrance = moi + souffrance
Charlotte + moi = manque

Je fais quoi maintenant?
T'avais qu'à y penser avant





Le choix des illusions


Mercredi 14 mai


Quelques extraits d'un texte lu chez Valclair:

«Le silence, je n'entends plus que lui ! Il est installé depuis longtemps mais il me semble que jusque là nous nous en accommodions, portés par la mécanique des habitudes, par les routines installées et, tout de même, par les bons moments et les plaisirs du quotidien. Comme nos parents s'en sont accommodés et combien d'autres dans les générations qui nous précédent.

(...) les diaristes et moi-même parmi eux, nous nous dévoilons à des inconnus sur notre petit coin de toile. Et avec tout cela je suis incapable de parler à la personne avec qui je vis depuis vingt ans et des poussières ! Il y a là une sacrée contradiction.
(...)

Il faudrait y aller plus franchement. Ne pas dire : " ça ne va pas très bien en ce moment, il y a ceci ou cela au boulot, on vieillit, on est un peu déprimé l'un et l'autre… ". Il faudrait que je dise, que j'ose dire ces simples mots : " ça ne va pas entre nous, parlons-en, parlons-en vraiment… "

Oser prendre le risque de la parole.
Le pourrais-je ?
»


Dans mon couple, bien que le silence ne soit pas là et que le dialogue existe, il y a quand même bien ce renoncement à aller au fond des choses. Nous parlons beaucoup avec Charlotte, au point qu'elle trouve que c'est trop. Mais que veut dire "parler trop" dans un couple? En fait, ce qu'elle veut signifier, c'est qu'on parle trop de ce qui pose problème. De ce dont justement on ne parle pas assez. Il y a comme une fuite.

Ce que je vis en ce moment est très éprouvant. Pour elle comme pour moi. Parce que le chemin que je suis déséquilibre une situation qui paraissait stable. C'était plus confortable de faire comme si tout allait bien. Et de fait, tout allait presque bien. En apparence.
Tant que rien n'est venu déranger le petit mécanisme de nos habitudes, prises dans une lente adaptation mutuelle faite de concessions, donc de renoncements plus ou moins librement consentis.
Renoncements... là est le problème. Parce qu'on ne renonce pas facilement à tout, ou pas éternellement. Il y a la un gros point de difficultés dans nombre de couples qui recherchent une certaine fusion. Par désir de plaire, ou d'apaiser des tensions, on s'imagine capable d'oublier des choses auxquelles on croyait, auxquelles on tenait. Et puis ça dure comme ça pendant des années, des décennies. Jusqu'au jour où, sans crier gare, on ne supporte plus la situation.

Charlotte a renoncé a beaucoup de choses pour moi. Je lui en suis reconnaissant pour les bonnes intentions qu'elle a eues. Mais c'était un dadeau empoisonné. Parce que c'est maintenant comme une dette que je lui dois sans jamais l'avoir contractée. Elle me rappelle régulièrement qu'elle s'est sacrifiée pour moi alors que je l'ignorais. Il en résulte un sentiment de culpabilité contrebalancé par l'envie de dire «mais je n'ai rien demandé!». Je sens peser sur moi un poids qu'elle m'impose.

De mon coté j'avais aussi renoncé à certaines choses, qui se rappellent à mon souvenir avec les années qui passent. J'avais renoncé à trouver chez Charlotte ce qui pourtant me tenait à coeur. Je pense notamment à une certaine forme de communion. Par la pensée, la confiance, la séduction. Très vite j'ai su que ces domaines seraient limités, et mon idéal à été cassé net à plusieurs reprises. Souvent sans ménagement. Mais j'aimais Charlotte pour d'autres raisons et j'ai accépté de renoncer à ce besoin d'un partage dans une sincérité poussée. J'ai renoncé aussi à découvrir avec elle le jeu de la séduction, de la dimension physique de l'amour, ou même simplement des démonstrations de mon affection pour elle. Certes, tout cela a quand même existé, mais à un niveau bien moindre que ce dont j'avais rêvé.

Je crois que je n'y ai jamais renoncé. J'ai cru le faire, j'ai abandonné l'idée, mais elle était restée ancrée dans ma part idéaliste. J'ai même pensé qu'en "tuant" le souvenir idéalisé de mon amour d'adolescence je me débarassais définitivement de ce besoin d'osmose relationnelle. A quelques reprises s'était pourtant manifestée cette soif de communication intime, et aussi cette dimension physique de la séduction (à peine effleurée, mais dont je mesurais bien le potentiel). Puis tout était retombé dans le calme.

Jusqu'à cette rencontre inattendue, qui a dérivé vers quelque chose d'extraordinairement proche de ce dont j'avais toujours rêvé.

Et j'en suis là: d'un coté des renoncements mal vécus, de l'autre la part qui me manquait pour accéder au bonheur de ce que j'attends des relations. Qui choisirait de rester dans le renoncement?

A priori, c'est tout simple: je n'ai qu'à vivre avec chacune de mes relations la part qui nous convient. Partage mutuel de bien-être. Que rêver de mieux?
Sauf que ça ne se passe pas comme ça... Tout bêtement parce qu'un jour j'ai signé un papier devant Monsieur le Maire où il est écrit que je dois fidélité à mon épouse. Et que pour la société, et pour mon épouse, ce mot signifie que c'est avec elle et uniquement avec elle que je peux partager certaines choses. Notamment tout ce qui touche à l'amour, à la sexualité et... au temps de partage.

Et c'est là qu'est le noeud du problème. Parce que ce partage, justement, m'est insatisfaisant. Les dialogues ne vont pas jusque dans les dimensions que je souhaiterais. C'est précisément pour cette raison que je vais chercher "ailleurs" ce dialogue qui me manque. Mais... non, je n'ai pas à aller ailleurs. Je dois trouver satisfaction avec mon épouse. Parce que c'est comme ça. Même si c'est absurde. Je devrais continuer à renoncer à cette dimension. Renoncer aussi à ressentir des émotions avec une autre. Renoncer à avoir une sexualité issue du partage de ces émotions.

Mais de tout ça, bien sûr, je ne peux pas parler... parce que c'est le fond du problème. Ne pas parler trop de ce qui pose problème. De ce dont justement on ne parle pas assez...

Et ce que je dépose ici à la face du monde, la principale intéressée ne le lit pas. Non pas parce que ce journal serait secret (ce n'est pas le cas, elle sait que je l'écris), mais parce qu'il est sans doute plus facile de ne pas chercher à savoir tout le mal-être qui fait que j'ai besoin d'écrire des centaines de pages.

Ce que j'ai à dire, que ce soit en mots parlés ou écrits, elle ne veut pas l'entendre au delà de ce qui pourrait lui poser problème. Mais elle ne veut pas non plus que j'en parle avec une autre qu'elle...

Ne pas toucher l'édifice qui parait stable... qui donne l'illusion d'être stable.

Jusqu'à quand?