Mois de novembre 2002 (2eme partie)
1ere quinzaine

 
De la différence entre idées et actes
 
 
Mardi 19 novembre
 
 
Ah, il faut quand même que je vous raconte ça...
 
Des gens bien intentionnés s'amusent, sur un forum (le "forum maudit", pour ceux qui suivent), à laisser entendre qu'ils savent des trucs sur ma véritable identité. Et, par diverses allusions, donnent des détails sur mon site internet professionnel.
 
Charmant, n'est-ce pas?
 
Petit esprit mesquin, fouineur et délateur...
 
Bon, on sait que ce genre de comportement minable existe. Rien de nouveau sous le soleil, même si c'est à une échelle dérisoire. Ce qui est plus surprenant, c'est qu'après la célèbre "Inconnue" que je ne citerai pas, largement ancrée à gauche sur l'échiquier politique français, les deux personnes qui s'y livrent aujourd'hui sont aussi très marqués à gauche. Et même carrément, pour l'un, impliqué politiquement.
 
Je n'en déduis évidemment pas que les gens de la gauche de la gauche sont des dénonciateurs en puissance, ce serait absurde. Mais je dois bien avouer que je tombe sur le cul de voir ça chez des gens qui prônent l'altruisme humaniste et ne manquent pas une occasion de traiter les autres de fachos.
 
Hop, encore une illusion qui s'en va. On peut avoir un discours de gauche très militant, tout en étant volontiers méprisant et donneur de leçons... et avoir un comportement, pour le moins, douteux. Surprenant, non? Vous je sais pas, mais moi, vraiment, ça me dépasse. Déjà d'avoir cette attitude particulièrement minable, mais en plus en se proclamant à gauche et militant activement dans ce sens...
 
Bref, passons.
 
L'autre coté intéressant de la chose, c'est que je m'en fous. On connait mon site professionnel, mon adresse, ce que je fais... et je m'en fous. Ben oui, parce que je crois que c'est précisément de ce genre de personnages que je voulais me protéger en adoptant un pseudonyme. Pas envie d'être atteignable par leurs sarcasmes, leur mépris. Pas envie d'être "nu" devant eux. Mais maintenant, alors que depuis un moment je n'attends plus rien de ce forum, je me moque du fait qu'ils puissent m'identifier (bien que l'un des plus sympathiques d'entre eux veuille me casser la gueule à coup de batte de base-bal...).
 
Pourquoi ce changement dans ma volonté de rester anonyme? Je ne sais pas bien. Mais je crois que mon acceptation de moi y est pour beaucoup. Je n'ai plus de gêne à être celui que je suis. Je suis imparfait, faillible, je le sais et l'accepte. Je ne cours plus après un impossible perfectionnisme et l'envie d'être "aimé" par tout le monde. Je suis tel que je suis. Tant mieux si ça plaît, tant pis si c'est l'inverse. C'est-y pas un changement extraordinaire?
 
Bon, ce qui m'a aidé aussi à surmonter les choses, c'est que je n'ai pas eu de scrupules à aller fouiner aussi de mon coté. Pas de scrupules avec les sans scrupules! Il se trouve que mon identification a été due à une faille du forum d'un journal (magazine, pas diariste): avec une manip simple, il était possible de retrouver le nom sous lequel s'était inscrit un pseudonyme. C'est con hein? (et merci R. pour le tuyau). Et comme théoriquement ces infos étaient invisibles, pas mal de monde s'est inscrit sous son vrai nom. Ce qui fût mon cas... et le cas de mes emmerdeurs.
 
Et c'est fou comme on se sent moins nu quand on voit aussi la nudité des autres. De mon olibrius j'ai non seulement appris le nom, mais une recherche sur Google devait m'en dire un peu plus. En effet, le personnage y figure, en tant que... candidat aux élections législatives! Rien que ça! Instructif sur le degré d'honneteté d'un homme qui ambitionne de devenir député. Bon, il n'est que suppléant quand même... Et son parti n'a recueilli que 0,72% des voix dans sa circonscription. On est encore tranquille un moment.
 
Mais enfin, cet homme qui, par devant, vomit sur la société, est quand même en coulisses un menteur avéré, un manipulateur, un sadique. Il est, de plus, hautain, méprisant, moqueur (non, non, je ne veux pas entendre «alors ce sera un bon politicien»).
 
Pourquoi ai-je droit à son mépris et son rejet? Parce que je dis ce que je pense et que ça ne lui plaît pas. Oh, ce que je pense n'est pas vraiment subversif. Ceux qui me lisent ici ou lorsque je m'exprime sur des forums de diaristes sauront à peu près à quel point ce que je dis peut être insupportable: des appels à la tolérance, au respect envers autrui, et (il semble que ce soit là le vrai blocage) à une certaine fermeté. Du genre "respecter quelques règles de savoir vivre". Ce qui passe pour d'insupportables leçons de morale.
 
M'en fous, maintenant j'assume. Ouaip, j'ai une certaine rigueur. Quelques principes. je trouve que ça marche mieux comme ça plutôt qu'un joyeux capharnaüm où les plus grandes gueules imposent leur façon de voir aux plus réservés. Je suis un ancien frustré de ce genre et maintenant je prends ma place pour qu'on laisse les plus timorés que moi s'exprimer tranquillement.
 
Pas envie de laisser s'installer la loi de la Jungle.
 
Hein quoi, qu'entends-je??? «facho, père-la-morale, bien-pensant, coincé!» Oui, je sais, j'ai l'habitude maintenant. Et bien si des abrutis ont ce genre de raccourcis simplificateurs ça les regarde. Je les laisse fantasmer sur ce qui convient à leurs idées manichéennes. De mon coté, je sais très bien ce que je ne suis pas.
 
D'ailleurs, je m'entends très bien avec des personnes qui ont des idées nettement ancrées à gauche et que je partage. Même si nous sommes en "désaccord" sur les méthodes à mettre en oeuvre pour une coexistence de toutes les différences. En fait, mes idées sont de gauche... mais mes préconisations pour les mettre en place sont considérées souvent comme... euh... "de droite". Je me sens hybride. Ni l'un ni l'autre, mais un peu des deux.
 
C'est bizarre cette gêne à avouer des idées de ce bord. C'est vachement mal vu dans les milieux internautiques que je fréquente (preuve, si besoin, que je me sens plutôt bien dans cette tendance). A lire les diaristes, par exemple, pour ceux qui abordent un peu les opinions politiques, on pourrait croire que la gauche constitue l'essentiel de la population. Vous en lisez, vous, des diaristes qu'on sent orientés du coté opposé?
 
Faut dire que la politique est un sujet un peu tabou. Sauf pour se dire à gauche.
 
D'ailleurs, je crains de me faire mal voir avec ce que j'ai écrit aujourd'hui. Tant pis, ça fait partie du processus de dévoilement, du miroir que je plante devant moi.
 
 
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«Après l'année que je viens de vivre (qui n'est pas terminée d'ailleurs...), je me sens différente, comme si toutes les tempêtes de cette année m'avaient sculptée de l'intérieur. Une chose est certaine, rien ne sera plus jamais pareil. Parce que je le dis. Et puis des années comme ça, ça permet de voir plus clair mais ça use»
 
Insomnies chroniques (17/11/2002) 
 
 
« Si je vous réponds, ne prenez pas ça comme un dû, mais comme un privilège. Je ne dis pas ça de façon hautaine : je veux seulement vous faire réaliser que ce site, je le fais dans mes temps libre parce que ça m'amuse et je ne considère pas avoir un devoir moral de répondre à tous ceux qui m'écrivent. J'aimerais honnêtement pouvoir le faire, mais je n'ai pas l'énergie la plupart du temps. Je reçois beaucoup de courrier. C'est un peu méchant à dire, mais c'est souvent redondant. Je rejoint un certain public particulier qui m'écris souvent la même chose, presque aux mots près. Depuis des années. Je commence à être blasé. On se blase de tout, même de la reconnaissance, de l'admiration des autres. C'est triste. Je sais. Mais c'est comme ça.»
 
Darnziak Weblog (13/11/2002)
 

 
L'entrée qui précède n'est mise en ligne que le 23 novembre. J'ai longtemps hésité avant de le faire. Peur du jugement hâtif...
 
Et puis il n'y avait aucune urgence, je pouvais bien garder ce texte en attente. Je choisis de le mettre, à peine retouché, parce qu'il faut partie du processus de mon évolution. Mais il manque de recul et trahit une certaine colère simplificatrice.
 
 

C'est pas mon problème
 
 
 
Samedi 23 novembre
 
 
Aucune envie d'écrire en ce moment. Rien d'introspectif. Mais d'un autre coté beaucoup de choses à dire. Sans doute trop pour que je l'aborde dans ce journal. Parce que ce n'est pas le ton habituel, je ne sais pas bien si je me lance.
 
Je crains que mon coté "moralisateur" (ou qualifié comme tel) ne ressorte trop. On me l'a reproché et voila donc que je ne sais plus que faire.
 
Je fais énormément de découvertes en ce moment, toujours suite à mes diverses relations internautiques. Notamment par les forums. Je crois que se cristallisent en ce moment toute une série des petites avancées que j'ai faites ces derniers mois. Le puzzle s'assemble. Je trouve ma place au sein d'un environnement auquel je n'étais pas préparé.
 
Je crois que ces derniers temps j'ai acquis une certaine force. Je ne me laisse plus atteindre comme ça avait pu être le cas. Je sépare bien ce que JE suis de ce que certains pensent de moi. J'ai compris que l'on transpose bien souvent sur l'autre une image fantasmée qui se construit sur une extrapolation de détails. De quelques phrases ou idées, on a l'impression de "connaître" un individu et on se débrouille, inconsciemment, pour le faire rentrer dans des cases prédéfinies. Aussi bien de façon favorable (cas de la séduction, par exemple), que défavorable  (rejet de l'autre, qualifié de "con").
 
Dès lors, il n'y a aucune raison de se sentir atteint parce qu'un quelconque individu un peu perturbé nous assène un jugement ahurissant.
 
Tout mon problème venait du fait que, la plupart du temps, les bases sont sensées. Mais c'est la construction logique qui suivait qui ne l'était pas. Par exemple, si on me juge "moraliste" et "donneur de leçons", il y a probablement une part de vérité. Je dois bien en convenir et m'interroger là dessus. Mais échafauder toute une théorie sur cette tendance, plutôt que d'ouvrir une discussion afin de comprendre conjointement en quoi mes mots peuvent heurter, c'est à la fois simpliste et aberrant. Personne ne peut juger l'autre sur quelques phrases.
 
Et surtout, moi je sais, pour une large part, ce que je suis vraiment. Il me faut donc savoir séparer les remarques justifiées des élucubrations interprétatives qui en découlent. S'en tenir aux faits, et rien qu'aux faits.
 
Il a fallu que je me voie traiter de "facho" pour comprendre que les délires de certains pouvaient ne plus rien avoir comme référence à des faits précis. C'était tout simplement des délires. Et si ces fantasmes étaient possibles, alors d'autres moins flagrants pouvaient l'être aussi. C'est comme ça que j'ai pu admettre que les quelques détracteurs excités qui m'agressaient étaient bien souvent les seuls responsables de leurs allusions. Je n'avais pas à rentrer dans ce jeu absurde. Je ne devais répondre que sur les faits, pas sur les suppositions et interprétations.
 
Depuis peu, et une fois que j'ai identifié les "délirants" (c'est le coté le plus délicat de la chose), je peux me sentir parfaitement serein face à toute "attaque" injustifiée. Je ne le prends même plus comme une injustice, mais comme l'expression d'une incapacité de l'agresseur à communiquer sur des sujets qui lui posent problème. Et comme généralement je ne sais pas quels sont ses problèmes, mon rôle doit se borner à mettre une barrière étanche au delà de laquelle toute remise en question personnelle est inutile (voire dangereuse pour mon équilibre personnel).
 
En gros, c'est savoir dire à l'autre: «Ça, c'est ton problème». Et ne surtout pas me laisser atteindre par SES problèmes.
 
Et inversement, je n'ai pas à expliquer mes propres problèmes dont lui même n'aura que faire. Lorsque je me sens obligé (?) de raconter pourquoi l'injustice qui m'est faite, ou le mépris que je ressens me sont douloureux, je donne des armes potentielles inutiles dont l'autre, au mieux, n'aura que faire, et au pire retournera contre moi.
 
Tout ceci semblera peut-être évident à ceux qui me lisent, mais il m'a fallu pour ma part le vivre afin de le comprendre. Voila pourquoi j'avais "besoin" d'aller jusqu'au bout lorsque j'étais sérieusement chahuté sur des forums. Je savais que je devais rester, que cette violence m'était nécessaire pour comprendre ce qui se passait. Ce n'était nullement le masochisme qu'on aurait pu croire, mais une étape indispensable de la découverte de moi-même.
 
En fait, tout en recevant des coups, je me nourrissais des difficultés existentielles de l'autre. En me battant pied à pied, en avançant des arguments et en constatant ce que l'autre en faisait, j'explorais toutes les tortuaisons de son raisonnement. Chaque refus de m'entendre, chaque agression, chaque bassesse me montrait à quel point sa propre remise en question lui posait problème. Alors que de mon coté, pratiquant assidument cette remise en question permanente, je demeurais en situation de fragilité de mes convictions. Le doute face aux certitudes.
 
Bien difficile de trouver un chemin solide dans ces conditions, alors que l'autre cherche sans cesse à saper le moindre point de consolidation que l'on se construit.
 
J'ai eu la "chance" de rencontrer divers specimens de ces névrosés qui l'ignorent, ce qui m'a permis de croiser les observations et relever des constantes. Le fait de participer à divers forums avait cette utilité.
 
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La tendance au diarisme-spectacle se généralise. Après le faux-journal d'Henri, les journaux qui se répondent sur le ton du jeu, voici maintenant la "grève des diaristes". Mi-jeu, mi-sérieux, afin d'obtenir la réouverture du forum.
 
On peut s'interroger sur cette orientation (encore très marginale) qui consiste non plus à écrire sur soi, mais a mettre en scène volontairement son journal et son personnage de diariste. Et puis, n'y a t'il pas quelque chose d'aberrant à se mettre en grève d'écriture?
 
Je n'en dirai pas beaucoup plus tant je prends ceci pour un non-évènement. Ce genre de diarisme ne m'intéresse pas. Ce n'est pas un jugement qualitatif, mais c'est simplement que ce n'est pas ce que je recherche dans l'écriture et la lecture.
 
Plus le temps passe, moins je me retrouve dans le cette nébuleuse distendue que devient le "diarisme virtuel".
 
 
 
Mais moi-même, me sachant lu, dans quelle mesure ne fais-je pas aussi une sorte de spectacle? Ce n'est pas ma recherche, mais je ne peux contester que le regard d'autrui influe sur mon écriture. Ne serait-ce que lorsque j'hésite à mettre un texte en ligne...
 
L'essentiel demeure quand même, dans l'ordre: la recherche de moi-même, une délivrance par l'écriture, un moyen d'échange. Le coté "spectacle" ne vient qu'en dernière position, plus comme un inévitable handicap que comme un désir.
 
Et à l'instant, alors que je lutte contre le sommeil, je me rends compte de la mise en scène que je m'impose: je cherchais une phrase, un paragraphe pour clore cette entrée.
 
Mais non, je n'ai rien à peaufiner! Je devrais cesser d'écrire immédiatement lorsque le fil de mes idées à fini de se dérouler.
 
Là.
 

 
Concessions
 
 

Dimanche 24 novembre

 
Assez fréquement, lorsque j'ai écrit quelque chose d'un peu contestable ici, je ressens le besoin de revenir dessus. Parce que si mon vécu, mes impressions, mon ressenti m'appartiennent, il n'en est pas de même lorsque j'émet quelque chose qui ressemble à un jugement.
 
En fait, en tentant de qualifier le comportement d'autrui, je me mets forcément dans la peau d'un "juge". Que je le veuille ou non. Là où ça coince, c'est que justement c'est souvent pour m'en prendre à ceux qui jugent les autres sans chercher à comprendre. On retrouve le même genre de logique absurde: peut on juger ceux qui jugent, peut on tolérer les intolérants...
 
Je fais une différence, pourtant. Mes "jugements" ne sont jamais définitifs. Je m'efforce de ne parler que d'attitudes, sans juger l'intégralité de la personne. Même si, à force, la répétion d'attitudes dans des circonstances différentes m'entraîne à devenir un peu plus catégorique dans mes appréciations. Surtout, je crois que je ne juge pas sans tenter d'abord de discuter avec l'autre, afin de savoir si il n'y a pas incompréhension, si vraiment il persiste dans ce qu'il affirme. Et j'essaie d'être le plus objectif possible. C'est pas facile. Et je sais que de toutes façons personne n'est vraiment objectif.
 
J'aimerais ne pas juger... mais comment faire pour ne pas avoir d'opinion sur ce que dit ou fait l'autre? On a beau se dire que chacun est libre d'agir comme il l'entend, très rapidement ces agissements rentrent en interaction avec autrui. Autrement dit, on pense ce qu'on veut, mais dès qu'on l'exprime on se heurte à ce que l'autre entend. Et l'autre n'est pas forcément prêt/capable/d'accord pour reçevoir le message. De même on agit chez soi comme bon nous semble, mais dès qu'on entre en contact avec le monde extérieur, on se doit de tenir compte des regards.
 
Cette séparation théorique entre l'intérieur et l'extérieur est forcément impossible. Il existe donc une zone floue, une enveloppe de tolérance qui épouse les contours de notre intimité de pensée ou d'agissements. C'est ce qui nous permet de sortir de chez nous habillés d'une façon "consensuelle", ou d'exprimer nos pensées de façon à ce qu'elles ne heurtent personne. Mais forcément cette recherche aboutit à un écrêtement de nos différences, et à cacher une part des aspérités de nos caractères respectifs. On l'accepte ou pas...
 
Il est évident que cela nuit à la totale liberté de chacun, mais c'est, il me semble, la seule façon de faire qui nous permette de vivre ensemble. Nous avons un territoire propre, l'intime. Un territoire commun, la société. Et un territoire mixte, celui ou se rencontrent les deux premiers. Certains étendront très peu les limites de leur territoire propre afin de s'intégrer au mieux à la société. D'autres considèrent que leur liberté prime, et demanderont à la société de faire un effort d'acceptation.
 
Et c'est précisement cette différence de perception de notre liberté dans cet entre-deux qui pose un problème. Partout, et depuis toujours. Les guerres n'ont pas d'autre origine, et tous les rapports qui régissent les hommes sont bâtis sur cette différence d'appréciation.
 
Entre ceux qui s'effacent devant la communauté et ceux qui s'imposent. Communauté qui peut se limiter à deux intervenants...
 
Je ne saurais dire quelle est l'attitude la meilleure. D'autant moins que je pense que les deux extrêmes sont néfastes, et que le meilleur doit se trouver dans une zone médiane. Mais plutôt tendance libertaire, ou au contraire plutôt effacée? Impossible de choisir. Je ne peux que me borner à constater que ceux qui imposent aux autres leur "libérté" posent des problèmes, alors que ceux qui suivent trop le modèle consensuel ne lui apportent aucune originalité.
 
Vouloir tout changer me semble être à la fois utopiste et égoïste (on est persuadé d'être dans le vrai), alors que souhaiter ne pas faire de vague serait rétrograde, sans perspective d'évolution. C'est la raison pour laquelle je me sens "au centre". Non pas que je me situe dans ce que je considère comme étant la position la plus médiane possible, la plus neutre, la plus fade, la plus consensuelle, mais parce que j'essaie de prendre un peu des deux cotés. C'est à dire prendre toute liberté d'action et de parole tant que je ne sens pas que j'entre en conflit avec d'autres individus aux aspirations différentes des miennes. Et à partir de ce point là, je cherche le point d'accord potentiel entre ces différences. Quitte à reculer dans mes souhaits de liberté.
 
Toutes mes relations sont fondées sur ce principe: un épanouissement mutuel fait de concessions afin qu'aucune des deux parties ne se sente flouée, ou privé d'une légitime liberté.
 
Il m'est impossible de concevoir un monde qui fonctionnerait sur un autre principe. Mais peut-être n'ai-je pas encore découvert une autre voie?
 
Il me semble que ce principe du respect mutuel de nos libertés respectives est non seulement la seule voie, mais qu'en plus elle a un coté exaltant. Parce qu'on sait qu'elle est difficile, mais que si on parvient au bout on obtient quelque chose de bien pour tous. C'est ce qui stimule les discussions, les réflexions sur soi, sur nos désirs et nos rejets, leur origine, leurs fondements. Je trouve que c'est absolument passionnant et que l'enjeu en lui même est magnifique. C'est pour moi l'essence même du principe d'humanité: s'adapter les uns aux autres.
 
L'opposé de la loi de la jungle, ou simplement des rapports violents qui régissent la nature. La nature, contrairement à l'image harmonieuse que l'ensemble nous donne, n'est qu'un âpre combat pour la survie. La loi du plus fort, tout simplement. Qu'on ne songe qu'au majestueux arbre de forêt dont la stature et l'âge nous paraissent pleins de sagesse...mais qui a tué, étouffé année après année ses milliers de petits frères qui sont nés en même temps que lui, ou après...
 
L'homme et sa culture sont censés être différents de la nature. Parce que nous savons réfléchir et agir sur notre destin. Nous pouvons agir, choisir, anticiper, prévoir, donc faire en sorte que nos vies soient en accord avec nos désirs, dans la limite de ce qui est possible. Et ce possible ne devrait pas nous être dicté par un autre. Nous n’avons pas à limiter la liberté d’autrui par nos agissements.
 
Là où j’ai beaucoup de problèmes avec ceux qui imposent leur conception des choses, c’est lorsqu’ils refusent de céder une once de leur liberté. Comme si elle était un droit imprescriptible… en oubliant que c’est aussi un devoir envers les autres. On doit la liberté a autrui. Et on a droit à notre propre liberté. Seul les concessions peuvent permettre de conciler ces deux impératifs. Ou alors la séparation.
 
La séparation est parfois la solution, mais elle a ses limites. On ne peut séparer ceux qui doivent cohabiter. Et dans la société, nous devons cohabiter avec nos semblables. Ainsi que dans toute communauté.
 
Il est d’ailleurs amusant, lorsqu’on fait des analogies (j’aime beaucoup les analogies), de constater à quel point l’égocentrisme est une position intenable. Que l’on songe aux gens de l’extrême-droite qui ne veulent pas cohabiter avec des étrangers, jugés trop différents. Ou au contraire regardons ces immigrés qui ne veulent pas perdre leur identité ou leurs traditions. Que l’on observe les nouveaux venus dans un groupe qui veulent modifier à leur idée un état préexistant. Ou encore ces chantres de la tolérance refuser de discuter avec ceux qui ont des idées jugées indignes. De quelque coté que l’on soit, dès que l’on considère que la position que l’on a est légitime, en refusant d’entendre que cette position peut poser des problèmes à l’ensemble de la société dans laquelle elle s’insère, on crée le problème. Quel que soit l’appartenance politique, religieuse ou sociale.
 
On me voit venir avec mes gros sabots…
 
Oui, dans le milieu du diarisme, qui n’est qu’une micro-société, dès que quelqu’un souhaite que quelque chose change et l’impose aux autres, c’est un abus de pouvoir. Ou sur un forum, si quelqu’un veut changer les usages, et impose trop brutalement ses choix, il heurte et suscite la controverse.
 
Faudrait-il éviter la controverse? Assurément non. Les échanges d’idées sont passionnants et poussent à la remise en question. Encore faut-il que personne n’impose son point de vue en passant outre le refus d’autrui.
 
On peut bien sûr rétorquer que les contestataires ont non seulement le droit d’exprimer leur point de vue, mais aussi d’agir comme ils l’entendent. Et c’est là que je pense que la séparation est parfois la seule solution. Tant qu’elle est possible, il n’y a pas à se priver de créer des groupes où l’esprit est plus conforme à une majorité d’avis. Ce qui évite de baigner dans un trop large consensus qui, s’il satisfait un équilibre collectif, ne correspond pas forcément aux aspirations de chacun.
 
Ce qui n’est pas envisageable à l’échelle d’un pays n’a aucune raison de ne pas être pratiqué là où cela est possible.
 
Pour en revenir à une vision plus élargie, une solution-miracle est souvent donnée par les trublions de l’ordre social: ne pas participer, ne pas lire, ne pas se sentir atteint… bref, s’extraire d’une situation perçue comme désagréable. En gros, il est demandé à l’autre, antérieurement installé, de s’adapter ou de partir.
 
On peut y réfléchir. Effectivement, ce pourra être la solution si le premier arrivé devient minoritaire. L’antériorité n’étant pas un gage de plus grande légitimité. C’est ce qu’on rétorquera au partisan du FN et de son argument des « Français de souche». En fait, le seul argument qui vaille, à mon avis, c’est celui de la majorité. Il n’est pas forcément toujours pertinent, mais il a le mérite de satisfaire le plus de monde et d’en mécontenter le moins. C’est pas forcément une solution intelligente, mais elle est garante d’un certain ordre.
 
Le problème, c’est que bien souvent l’immense majorité est indéterminée, donc silencieuse. Et les voix les plus contestataires sont, sans que je ne m’explique pourquoi, les plus virulentes. De sorte qu’elles semblent avoir un poids bien plus considérable que leur légitimité. Peut-être aussi est-ce dû à une volonté de changement, une curiosité, qui fait que les contestaires sont perçus sous un jour plutôt favorable. Toujours est-il que les contestataires font toujours un peu changer les choses. Et qu’on ne peut pas leur retirer ce mérite.
 
Je ne sais pas trop où je me situe dans cette simpliste bipolarisation. Je ne me sens pas vraiment contestataire, me contentant de trouver des points intéressants dans ce qu’ils expriment. Je ne suis pas non plus un conservateur qui voudrait que rien ne bouge et qui craindrait tout changement. J’essaie de voir ce qui fonctionne bien, et qu’il me semble préférable ce conserver, mais je suis ouvert à toute nouvelle orientation qui élargirait les possibilités d’évolution. Je suis un progressiste prudent.
 
Voilà pourquoi je suis bien souvent rejeté par les conservateurs et les progressistes les plus radicaux…
 
A moi de garder la tête froide et de ne pas me sentir atteint par leurs attaques qui traduisent leur incapacité, soit à se remettre en question, soit à s’adapter à un environnement qui ne leur convient pas.
 
Ce qui est certain, c’est que je vis certainement beaucoup mieux intérieurement, sans nuire à qui que ce soit. Et à mes yeux, c’est la seule chose qui compte.
 
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Tout ce qui précède passera peut-être pour une magistrale leçon de morale (j'anticipe...). Ce n'est pas le but. J'exprime simplement mes convictions. Je ne parviens pas à voir une société qui fonctionnerait bien sous d'autres principes. Si elle parvient à tenir, c'est uniquement parce que certains s'effacent devant d'autres. Plus trivialement, on parlera de baiseurs et de baisés. Ou de dominants/dominés si on est un peu plus poli.
 
C'est la société actuelle, et c'est comme ça qu'elle a toujours fonctionné, cahin-caha. Mais on peut rêver de mieux...
 
Surtout si on est un peu idéaliste.
 
 
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Bon, en bidouillant ma page, je me suis rendu compte que je reprenais depuis hier le même sujet qu'au début du mois... Papy radote!
 
Meuh non, c'est ce que diraient des mauvaises langues. Si on est gentil on dira que je suis dans un processus d'appropriation d'un nouveau concept de mes relations sociales. Ouais, ça passe mieux comme ça.
 
Bien sûr que je rabache. Forcément, puisque je découvre de nouvelles choses. Et en plus c'est vachement brouillon et tâtonnant et simplificateur. Mais je sais que de tout ça sortira quelque chose de relativement clair. Et en définitive une révolution dans ma façon de me positionner face aux autres. J'apprends à m'exprimer indépendamment afin dêtre plus en accord avec moi-même. C'est vachement important, j'vous jure!
 
J'ai remarqué aussi que lorsque je suis en phase de maturation, après la longue décantation qui a précédé, je m'isole. Le ton de mon journal change, ou je le suspends provisoirement après une intense activité. Je prends aussi de la distance vis à vis des lecteurs. Mes écrits semblent ne pas solliciter de commentaires et c'est parfait. Ça me laisse plus de liberté pour me déterminer seul. Je me tiens même à distance de ceux dont je me sens proche. Pas de commentaires de ma part, très peu d'échanges de mails.
 
Je suis trop préoccupé (bien que tout cela se passe en majeure partie à mon insu, pour ne pas dire inconsciemment) pour m'ouvrir vraiment aux autres. Je parle évidemment des cyber-relations, pas de ma vie de famille.
 
Mais je crois que ces derniers jours j'ai fait des avancées importantes. C'est l'aboutissement des ces années difficiles de découverte des relations sociales dans un milieu très libre. Un excellent modèle réduit de ce qui se passe dans la vie réelle, juste un peu plus "concentré".
 
Quand je dis «aboutissement», il vaudrait mieux parler de «cristallisation». Ce moment où tout ce qui était en suspension s'assemble comme par magie, alors qu'on ne voyait rien de concret juste auparavant. Rien n'est abouti, c'est plutôt un commencement. Encore fragile, avec rechutes possibles, mais ce qui est acquis se s'oubliera plus. J'ai vraiment l'impresisons que ces derniers jours s'est produit un tournant dans ma façon de perçevoir les choses.
 
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«En l'écoutant, je me disais que c'était une des choses qu'apportent le fait de tenir un blog, exister autrement. Pas forcément parce que dans la vie nous n'existons pas, mais parce que souvent nous ne nous autorisons pas à vivre totalement. A être totalement nous même. Nous avons tous une image que nous présentons aux autres, plus ou moins éloignée de nous-même, elle nous protège. Et nous avons un rôle. Je ne parle pas de celui que nous choisissons plus ou moins de jouer, mais de celui que les autres nous amènent progressivement à adopter. Par ce qu'ils projettent sur nous, par les étiquettes qu'ils plaquent sur nous, par nos positions sociales, par les règles non écrites de nos mondes. Nous avons tous appris très tôt dans nos vies, que pour être intégrés dans les groupes que nous fréquentons, il convenait d'agir d'une certaine façon, et progressivement, sans nous en rendre compte, nous renonçons à exprimer certaines parts de nous-mêmes.
 
Et si nos blogs étaient justement cette porte ouverte sur ce que nous n'exprimons pas ou pas assez ?
 
Et si les publier était un test pour savoir s'il existe des groupes qui les partagent et ne nous obligent pas à y renoncer ?
 
Mais surtout, les exprimer sur son blog permet-il de les exprimer dans la vie ? »
 
Cassandra (18/11/2002)
 
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« ann enomy, ça devient compliqué. c'est devenu trop un journal, trop dans ma vie d'aujourd'hui, trop dans le "au jour le jour". se réécrire comme ça, laisser la vie se transformer par le langage et par la lecture par-dessus, c'est difficile parfois. c'est se tenir toujours sous observation, juger sous l'oeil de l'écriture ce qui n'a absolument pas à l'être : ma vie. je sais que, quelque part, le journal on line conditionne ma vie. quelque part il prend un pouvoir sur moi. je suis tenue de vivre ce que je m'engage à écrire dans le texte. je suis tenue de tenir dans l'axe de vie qui se dessine dans le texte. comment expliquer ça, cette tension entre elle et moi, entre ma duplication et moi. c'est un peu dans ce fait que je peux mentir au lecteur, ou plutôt, je peux omettre au lecteur, mais dans cette omission, je vois surtout et irrémédiablement que je m'omets à moi-même.»
 
Je parle trop (19/11/2002)
 
 
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Quelques commentaires sur ce que dit Manu après avoir lu mon entrée précédente:
 
« Le lecteur est là pour lire une histoire. Que ce soit la vérité vraie (pléonasme) ou une histoire au moment de l'écriture, pour le lecteur c'est toujours une histoire qu'il lit. Le diariste reste pour lui un auteur
 
Différence fondamentale de perception entre différentes tendances du diarisme en ligne: je pars du postulat que le diariste dit la vérité (la vérité, rien que la vérité, mais pas toute la vérité, ai-je déjà écrit je ne sais où). Si j'avais des doutes sur la sincérité d'un diariste qui me plaît, je ne le lirai plus de la même façon. Peut-être même plus du tout. Undiariste n'est pas un auteur, c'est un être, une personnalité, une intériorité. Et c'est ce qui m'intéresse. Pas son style, même pas son histoire (que généralement on ne connaît que partiellement). C'est sa pensée, vraie, intime, son ressenti que je cherche à capter... et trouver en lui ce qui nous ressemble ou nous différencie. Il y a un rapport d'être à être dans le diarisme-communiquant tel que je le pratique avec ceux qui sont devenus proches. Cet échange n'existe pas avec un "auteur" au sens classique du terme. Il offre, on prend, et la relation cesse là. Ce qui n'est pas le cas du diarisme au jour le jour avec interaction.
 
 
« A cette époque - révolue - je ne mettais pas mon personnage en scène. Ca veut dire que je ne me positionnais pas par rapport au diarisme. (...) Comme à un scientifique il est impossible d'observer un phénomène sans le perturber, il m'est impossible de m'intéresser au diarisme sans bouleverser ma situation vis à vis du diarisme. Et cette modification est passée par la mise en scène du diariste. Ma prise de conscience (alors là, si c'est pas du pompeux!) nouvelle de mon existence au sein du diarisme m'a obligé à me créer un personnage dans le diarisme.»
 
Voila qui me surprend, parce que je ne vois pas le rapport qui existe entre la mise en scène de soi et le positionnement par rapport a diarisme. A moins que le positionnement aie amené à une certaine théatralité, l'apparition d'un "personnage", comme la suite semble le dire?
 
Pour moi l'idée de mise en scène est volontaire, et sous-entend que la véritable personalité se cache, ou s'efface derrière un personnage de scène. Donc une illusion.
 
Je n'aime pas bien cette idée de mise en scène de soi, même si je sais bien que, en choisissant ce que nous évoquons ou cachons, nous construisons un personnage qui ne correspond pas vraiment à ce que nous sommes. Mais il n'y a pas tromperie volontaire. Et c'est ce qui fait toute la diférence à mes yeux.
 
Elle est du même ordre que ce qui existe entre embellissement et tromperie.
 
 
 

Seul maître à bord
 
 
Mardi 26 novembre
 
 

Pof, là, d'un coup, je me suis mis à lire le début de ce mois. Vous savez bien que je ne me relis que rarement. Peut-être un tort d'ailleurs, mais c'est ainsi.

 
Je constate à quel point je rabache, mais ça ne me dérange pas. C'est normal. J'appelle ça le "processus d'intégration des idées".
 
Ce que je voulais dire, maintenant, c'est que cette attente du "jugement" de la part des autres (que j'espère idéalement favorable...) que j'évoque de façon répétitive m'est moins indispensable qu'auparavant.
 
Je ne vous cacherai pas qu'après les "révélations" que je me fais sous vos regards, j'attends des commentaires. Du genre «t'as bien raison» ou «je pense comme toi». Ouais, ça me rassurerait. Parce que je crains vachement de heurter.
 
Mais coté boite à mails, c'est le calme plat. Pas le moindre message. Ni critiques, ni encouragements. Bon, je fais avec donc. Et je me dis que c'est pas plus mal. Je me débrouille tout seul pour gérer mon attente. Je dois me passer de cet écho que j'attendais. Je dois me passer de l'avis des autres et de leur jugement.
 
Et c'est très bien comme ça. Personne ne me bloque ni n'influe sur mes hésitations, je suis seul maître à bord.
 
Je me disais aussi... peut-être que personne ne me donne son avis parce que justement j'ai l'air de savoir où je vais? Que ceux qui me lisent sentent que je m'aventure sur des territoires dont je suis le seul à attendre quelque chose? C'est ma pensée que j'explore et dont je fais le compte rendu ici.
 
Peut-être considérez vous que je suis capable de répondre seul aux questions que je me pose. Que les réponses sont là, accessibles, et que je n'ai qu'à me les approprier. Et je dois dire que cette absence d'écho m'est très supportable (pour le moment). Je me rends compte que je peux continuer seul (euh, provisoirement, hein? ne me laissez pas tomber!).
 
Je parlais hier avec Charlotte de ce qui se passe en ce moment. Je crois que je n'ai jamais été aussi serein, que je ne me suis jamais senti aussi bien en moi-même. J'ai l'impression aussi d'avoir acquis une grande lucidité sur les rapports humains et nes invariants de nos attentes respectives. J'ai parfois l'impression de pouvoir lire dans l'autre ses attentes les plus profondes. Pas ses goûts et ses désirs particuliers, mais ses aspirations, communes à tous les êtres sans que nous n'en ayons toujours conscience.
 
Est-ce prétentieux de dire cela? Je ne le pense pas. C'est simplement une compréhension des mécanismes psychologiques qui nous gouvernent. Du moins d'une part d'entre eux. Je ne me sens pas pour autant disposer d'une connaissance infaillible, mais j'ai l'impression d'être parvenu à un stade de perception que je n'avais jamais connu.
 
Et c'est vachement bien!
 
Mais je n'en oublie pas pour autant que j'ai encore énormément à apprendre. Et je sais que je ne saurai jamais tout.
 
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« Qui ne rêve pas de pouvoir se montrer dans sa totalité, afin de savoir si nous pouvons être aimés et acceptés tels que nous sommes, y compris ces parts de nous si socialement non acceptables, que chacun préfère que nous les taisions, rajoutant le poids du silence au chagrin des blessures. Cela m'est arrivé, à moi. Cela participe de ce que je suis maintenant et je ne saurais jamais ce que ma vie serait devenue sans ce fracas. Mais qu'importe, je n'en aurais jamais qu'une à vivre, alors j'ai bien l'intention de la prendre à bras le corps et de ne plus laisser mes fantômes décider des choix qu'elle m'offrira.»
 
Cassandra (24/11/2002)
 

 


 
 
Malocrane
 
Mercredi 27 novembre
 
Hum hum... je l'ai bien cherché. A dire que je ne reçois pas de mails, j'ai provoqué les choses. Une lectrice à découvert mon journal hier et m'a fait ses commentaires sur ma dernière entrée.
 
Inattendu. Elle évoque mon «un peu trop d'assurance» et l'absence de doutes. Serais-je en train d'aller trop loin dans cette prise d'autonomie vis à vis des regards extérieurs? Ou au contraire ai-je atteint un stade qui fait qu'on me sent suffisamment sûr de moi?
 
A trop vouloir croire en moi, ne plus vouloir être aussi perméable à l'avis des autres, n'y a t-il pas un risque que je devienne déplaisant?
 
Oh la la, j'ai vraiment trop mal à la tête ce soir pour réfléchir à ça. J'y reviendrai.
 

 
 Le paradoxe du doute
 
 
Vendredi 29 novembre
 
Je passe beaucoup de temps sur internet. Sans doute trop. Il y a une sorte de boulimie, une soif insatiable...
 
Soif de quoi?
 
Euh... peut-être de reconnaissance? Je sais pas trop. Il me semble, puisqu'actuellement je vais surtout sur des forums, que je cherche à la fois la polémique et la réassurance. J'aime beaucoup échanger des idées, pour à la fois confronter mon avis à celui des autres, mais aussi m'enrichir de leur façon de percevoir les choses. Et puis, il faut bien que j'en convienne, j'aime aussi les batailles d'arguments. Du moment que ce sont des arguments sincères, évidemment. Je ne cache pas que je suis content lorsque je sors un argument qui semble convaincre.
 
J'aime sentir que d'autres sont d'accord avec moi et me le disent. J'aime aussi lorsqu'une joute scripturale se met en route et que l'on se sait suivi par tous ces regards silencieux. Il y a dans ces duels de mots quelque chose d'excitant. Mais aussi, et c'est souvent là que ça dérape, une idée de combat, de fierté, de refus de perdre la face. Dès que ça rentre dans ce genre de situation, on s'oriente vers une discussion qui dégénère.
 
Voila pourquoi je crains plus que tout le premier qui va insulter l'autre. S'en prendre non plus à ses idées, mais à celui qu'il est. Je crois (j'espère!) ne jamais être ce premier. Et je me désole lorsque je constate que mon "adversaire" se réfugie dans cette facilité. Parce que je sais que souvent je me laisse entrainer dans cette boue. Au lieu de l'affrontement empreint d'une certaine noblesse, ou chacun peut faire l'admiration de l'auditoire par la précision des "coups" portés ou la pertinence des attaques, cela devient une sorte de combat stupide où chacun essaie de sauver la face. Et pour peu que l'un des deux aie peu de scrupules, tout finit dans une sorte de corps à corps pathétique dont tout le monde se désintéresse, sauf quelques excités avides de ce genre de triste spectacle.
 
J'ai souvent suivi, bêtement, estimant mon "honneur" (oh, le grand mot...) bafoué. Et c'est là que je l'ai justement perdu. C'est une stupide fierté que de vouloir résister à un abruti sans scrupules. Pourtant, il y a des réponses: l'abandon devant des méthodes qu'on désapprouve, en laissant l'autre s'exciter tout seul dans sa fange. Ou alors la dérision, en tournant au rire les gesticulations de l'autre (mais il faut une habileté que je n'ai sans doute pas). Par contre, vouloir rester stoîque alors qu'un olibrius vous éclabousse et vous crache à la figure est totalement inutile. Cela désole ceux qui peuvent apprécier celui qui ne cède pas à la facilité, et stimule les pauvres frustrés qui n'ont que les quolibets et les insultes à la bouche pour exciter et encourager l'abruti.
 
J'ai encore pas mal à apprendre, mais je commence à sentir ces situations-piège dans lesquelles je ne dois pas me laisser embarquer.
 
Bon, évidemment, je me classe dans la position de celui qui se fait outrager. Ben oui, parce que je crois que jamais je n'agresserai quelqu'un sans sérieuses raisons. Et ces raisons sont vite énumérées: injustice flagrante, agressivité notoire, et mépris affiché. Ce que je dois apprendre à faire, c'est répondre à ces attitudes sans entrer dans ce combat. Parce que bien évidemment, dès que je reproche à quelqu'un son agressivité, il la retourne contre moi. Il est idiot de vouloir calmer un chien enragé.
 
Il doit bien y avoir une façon de faire, genre seau d'eau froide, pour calmer un excité. Ou coup de gourdin sur la tête. Mais ce qui est sûr c'est qu'il faut savoir rester hors de portée de ses morsures. Donc bien protégé derrière une armure d'insensibilité, ou en position suffisamment haute pour être hors d'atteinte.
 
Je ne sais pas encore faire tout ça.
 
Et puis... il faut peut-être que j'arrête de croire que j'ai un rôle à jouer au milieu des autres. Que j'accepte que chacun soit différent, y compris dans ses formes d'expression. Si l'insulte est une façon d'exprimer un mal-être, je dois passer par dessus l'impression d'injustice qui s'en dégage. Et même si elle s'adresse à un autre que moi, ne pas me sentir obligé d'aller prendre la défense de l'attaqué.
 
C'est ce qui me semble le plus difficile: savoir quand il est nécessaire d'intervenir (ne pas être lâche en détournant le regard), mais sans me mêler de ce qui ne me regarde pas. Et c'est pas forcément évident de se déterminer.
 
* * *
 
Bon, j'ai peut-être l'air de faire la morale là. C'est surtout à moi que je la fais. Je m'apprends à réagir. Et je ne dis pas que c'est la seule, unique et bonne façon de le faire. C'est la meilleure pour MOI, celle qui me semble la plus juste et qui convient à ma personnalité.
 
Et qu'on ne vienne pas me faire chier avec ces histoire de "père la morale".
 
L'anti-morale est aussi une morale. Et on l'entend bien souvent celle là...
 
* * *
 
Je ne cacherai pas qu'il m'est assez douloureux d'écrire en ce moment. Parce que je pense que j'ai changé de ton. Et j'ai peur de déstabiliser mon lectorat, peut-être d'en décevoir une partie. J'ai peur d'être jugé défavorablement, avec des idées qui peuvent déranger. Mais bon, ce journal est censé être sincère, et il fallait bien que peu à peu je dévoile (je me dévoile, devant vos regards) toutes les faces de ma personnalité.
 
Ce qui me fait un peu peur, c'est que je suis actuellement dans une phase d'excès. A trop vouloir prendre de liberté envers des jugements potentiels (ou effectifs), je prends la peau de quelqu'un qui serait très sûr de lui. C'est un effet de balancier. Je deviens artificiellement très sûr de moi, de mes pensées, et je m'auto-persuade que j'ai tout à fait raison de montrer clairement que je suis "seul maître à bord".
 
Patience... cet état transitoire ne durera sans doute pas. je reviendrai à un peu plus d'humilité d'ici quelques temps. Mais je ne reviendrai pas à ma position initiale, ça c'est certain. J'ai acquis ces derniers jours un peu plus de confiance en moi, et je compte bien pérenniser cet acquis.
 
Je faisais, lors de ma dernière entrée, allusion à un courrier reçu qui m'a quelque peu ébranlé. Il y était dit notamment «Tu dis savoir "qui tu es" je crois. Peut-être l'affirmes-tu un peu trop souvent. Souvent avec un peu trop d'assurance. ». Comment était-il possible que je paraisse avoir trop d'assurance, alors que j'ai si souvent douté de moi? C'est ce message qui m'a fait prendre conscience de cet état transitoire. Mais il m'a aussi interpellé sur ma vision profonde de moi. Parce que je me souviens m'être déjà demandé si la piètre image que j'avais de moi-même autrefois n'était pas due à une inadéquation entre l'image de moi que j'offrais et celui que je me sentais être.
 
Oui, parce que si je doute de moi, c'est surtout parce que je doute de la validité de mes pensées face à celles exprimées par les autres. Bien souvent je pense différemment, mais n'ose pas l'affirmer face à ce qui semble être un avis assez unanime. Le doute viendrait de la différence avec autrui, comme conséquence de la confrontation d'idées, non pas comme un manque réel d'assurance en ce que je crois.
 
Humpf, c'est compliqué à expliquer ça...
 
Plus clairement: j'aurais une forte tendance à faire confiance en ce que j'analyse d'une situation, mais n'oserai l'affirmer parce que je cours le risque de me faire contredire... et donc être moins apprécié. Mes doutes viendraient davantage d'une crainte de dire ce en quoi je crois par peur du rejet que d'une réelle interrogation sur la validité de ce que je pense.
 
Non pas que je suis toujours persuadé d'avoir raison, mais que je considère que j'ai quand même une certaine capacité à raisonner en appréhendant un large éventail de la problématique d'une situation, et qu'il faudra donc des arguments bien étayés (on y revient) pour me faire changer d'avis. Et je dois bien convenir que souvent les arguments sont en fait des doctrines...
 
Pfouu, pour quelqu'un qui se dit douter de lui, en fait je crois que je suis un peu à l'opposé! Et pourtant, il est bien rare que j'affirme avec certitude quelque chose. Le doute fait partie de moi quant à la validité de mes interprétations des choses, mais simultanément cette capacité à douter et me remettre en question... renforce mes convictions. Paradoxal, non?
 
J'adore les paradoxes!
 
Bref, plus je doute, plus je suis sûr de moi. Parce que je remets sans cesse en question mes précédentes conclusions et que chaque nouvelle conclusion (provisoire, toujours provisoire) est plus affirmée que la précédente. Et voila pourquoi j'ai beaucoup de mal à discuter longtemps avec des dogmatiques.
 
Le seules discussions vraiment productives ne peuvent avoir lieux qu'avec des gens qui doutent un peu de leurs convictions. Suffisamment pour avoir la capacité de changer d'avis. Alors là, oui, c'est passionnnant. Alors qu'avec les gens pleins de certitudes (et surtout celle d'avoir raison!), il y a toujours à apprendre de leur point de vue, mais le fait qu'ils ne lâchent aucun lest fait que le débat est voué à l'échec. Il n'enrichira que celui qui est prêt à se remettre en question.
 
Bon, beau plaidoyer pro domo, non?
 
Vais encore paraître sûr de moi... Mais non mais non, si ce que je dis suscite la controverse, c'est avec plaisir que j'accepterai de me remettre en question (ce qui ne signifie pas forcément changer d'avis ensuite). Tiens d'ailleurs il aurait peut-être été bien que j'aie une boite à commentaires en ce moment...
 
* * *
 
Mon interlocutrice inconnue, dans un second message, m'a écrit cette phrase un peu mystérieuse « Je suis d'accord avec toi sur le fait que "surdire" c'est déjà douter. Mais peut-être que ton écriture refuse d'admettre son mensonge». Hmmm, en quelques mots voila qui ouvre un abîme de questions...
 
Surdire, c'est quand j'ai besoin d'affirmer, et de rabacher, que je suis "seul maître à bord". Effectivement, si cela allait de soi, je n'en parlerais pas. Ou seulement en quelques mots. Alors que la je répète sur tous les tons, comme pour me convaincre moi même. Donc, en répétant que je suis sûr de moi... je montre que j'en doute.
 
Alors oui, mon écriture est "mensonge". Ou plutôt elle se trompe elle-même, et elle me trompe. Je me fie à la spontanéité de mes mots, alors que rien n'est moins spontané que ce conditionnement que je m'inflige. Wow, c'est fort tout ça, non?
 
Et c'est là que la capacité à douter est efficace: en écrivant, je crois qu'il reste toujours une petite faille que je peux voir ou qu'on peut me signaler. Soit de ma part dans l'instantanéité de l'écriture (ce qui explique mes coq-à-l'âne fréquents), ou dans les jours suivants, soit grâce à la vigilance de ces nombreux regards qui me suivent. Il y en aura toujours un pour me signaler que quelque chose ne va pas de soi.
 
C'est l'immense avantage de cette introspection en public.
 
* * *
 
Bon, le cas opposé, c'est quand je reçois un message qui me conforte dans ma démarche. C'est le deuxième (ou le premier?) avantage de l'introspection.
 
Je cite, parce que ça fait vraiment beaucoup de bien: « Je crois que tes derniers textes ont été d'une profondeur remarquable. Et je me doute que, s'il y eu manque de réactions (tel que tu le mentionnais), c'est justement à cause de cela. (...) Et ce n'est pas que tu n'es pas clair dans l'énoncé des celles-ci, mais elles demandent un niveau de compréhension de la vie et une profondeur que peu ont atteint. ».
 
Hum hum, je sens enfler mes chevilles... Ouais, ben c'est vraiment très très agréable de lire des phrases pareilles. C'en est presque gênant et je rougirais si ça m'était dit en face.
 
Je ne le fais pas trop souvent de citer des extraits de mails qui me sont favorables (pudeur? peur de gêner l'auteur? crainte de paraître trop fier de moi?), mais parfois il est bon de faire preuve d'honneteté envers moi-même... et vous par la même occasion.
 

 

* * *
 
Vous savez quoi? C'est quand même pas facile de se livrer en public. Pas plus en se montrant sous un jour défavorable que favorable. Je ne sais pas pendant combien de temps je poursuivrai ce travail auto-analytique sauvage sous vos regards gourmands, désapprobateurs, avides, moqueurs, enthousiastes, mornes, passionnés, distraits... mais ce qui est sûr c'est que ça mobilise une énergie considérable. Hormis ma vie de famille, l'essentiel de mon existence est tournée vers ce travail depuis des mois.
 
Il y avait un tel gouffre à combler dans l'estime de moi...
 
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« Je me suis rendue compte hier que mes peurs, mes doutes sur moi-même m'ont permis de réaliser des choses dont je me sentais totalement incapable il y a quelques semaines de cela. Si j'étais pleinement épanouie, sans crainte du regard des autres et pleinement consciente de ma valeur, je n'aurais pas besoin de tous ces vecteurs d'attention que sont l'écriture et le théâtre. La simple conscience de ce que je vaux me suffirait à me sentir bien. C'est ma peur de ne pas être à la hauteur qui me fait avancer, c'est mon envie de reconnaissance qui me pousse à me mettre en danger, à me dépasser, à ne pas m'endormir sur mes lauriers et à explorer de nouveaux terrains»
 
Journal sous Prozac (28/11/2002)
 
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« Pourtant je sais qu'un jour - bientôt peut-être - je te prendrai par la main et je te ferai lire ces pages. Te cacher ce monde intime de l'écriture, ce serait encore une fois fuir et me dissimuler dans la réserve méfiante du secret. Et je n'ai pas envie de fuir devant toi, comme avec tous les autres. Je n'ai pas envie que tu ignores qui je suis vraiment. Je n'ai pas envie que tu aimes quelqu'un que je ne suis pas, juste parce que je n'aurai pas osé me montrer complètement à toi. Donc un jour tu liras ces pages, je le sais.»
 
Extrait d'un très beau texte d'Eva: "Lorsque tu liras ces pages" (28/11/2002)
 

 
Dimanche 1 décembre
 
Et quand on est déprimé, même sans raison, on le met dans un journal?
 
Rien à en dire, je ne sais même pas pourquoi je suis dans cet état. Ça passera, et je ne saurais même plus ce qui m'est arrivé ce jour là... Mais ça arrive, et pourquoi ne pas en garder une trace?
 

 
Lundi 2 décembre
 
Boaf... guère mieux ce soir. J'ai fait mon petit tour coté diaristes. J'ai l'impression qu'il y a de moins en moins de monde. Je sais pas pourquoi. En fait si, je sais: il y a moins de mises à jour parmi les diaristes "anciens". Tout évolue, forcément. Ceux qui étaient fort actifs il y a quelques mois ou années deviennent moins présents. D'autres apparaissent. Mais c'est pas pareil. Je ne les connais pas, je ne sais pas si je les connaîtrai (dans le sens de "correspondre avec") un jour...
 
La durée de vie sur internet est éphémère.
 
C'est la même chose sur les forums, c'est encore plus flagrant sur les chats.
 
Un jour ceux que j'ai connu ne seront plus là. Un jour je ne serai plus là.
 
 
 
 
 

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